Bitcoin Psychopathes vs Bitcoin Sociopathes – Rigel Walshe

Rigel Walshe
Software developer, Swan Bitcoin

Traduction : @Jacques_BTC

Une quasi retranscription de mon intervention au Baltic Honey Badger 2022.

Lorsque j’écris un exposé, j’essaie généralement d’abord d’en esquisser le contenu par écrit. Voici le contenu au propre de cette esquisse plutôt qu’une transcription directe de la présentation que j’ai donnée lors de la conférence Baltic Honey Badger 2022.

Je devrais probablement commencer par préciser que les psychopathes et les sociopathes dont il est question ici ne sont pas censés se référer à leurs véritables définitions psychologiques, qui sont assez proches l’une de l’autres. Ces termes font plutôt référence d’une part au mythe du bitcoiner enthousiaste réagissant avec rage et agressivité à toute menace perçue pour Bitcoin, et d’autre part au narcissique répugnant intéressé décrit dans l’article de David Chapman auquel je fais référence plus bas.

Ce qui m’a inspiré à écrire sur ce sujet, c’est mon parcours. Depuis l’âge de 17 ans, j’ai joué dans quelques groupes de métal déjantés, enregistré plusieurs albums et fait des tournées dans le monde entier. Cela m’a permis de saisir comment fonctionnent les sous-cultures, comment elles évoluent, et se fondent ou non en des courants dominants… comment les rapports de pouvoir en interne ont une influence démesurée sur l’orientation collective d’un mouvement dont personne n’est vraiment responsable.

J’ai par ailleurs été officier de police pendant dix ans, ce qui m’a fait découvrir un autre type de sous-culture de clique. Et m’a permis de comprendre pourquoi, lorsque les enjeux sont aussi élevés qu’on peut l’imaginer, les règles et les gardiens servent comme un moyen de faire respecter les normes de groupe que vous n’avez tout simplement pas le luxe d’expliquer aux nouveaux venus ou aux étrangers, et comment cela peut se métamorphoser en ce que les gens décriront souvent comme une culture toxique.

Je suis rentré dans Bitcoin pour la première fois en 2014 mais ce n’est qu’en participant régulièrement à des conférences dans le monde entier en 2018 que j’ai remarqué à quel point les ressemblances étaient frappantes entre ce que j’avais vu dans ces deux mondes, la musique et la police, et dans le monde réel, en chair et en os, du Bitcoin. Les mêmes erreurs, les mêmes avantages. À mesure que Bitcoin est devenu de plus en plus un phénomène grand public, ces corrélations n’ont fait que se renforcer et s’accentuer. Mais il n’y a pas beaucoup de discussions nuancées dans l’espace Bitcoin sur le rôle important que le comportement humain et la culture vont jouer dans le succès ou l’échec de Bitcoin et sur la manière d’en tirer le meilleur parti en abordant cela de façon éclairée et détachée.

On parle beaucoup d’hyperbitcoinisation et on envoie sur Twitter des concepts simples comme la courbe d’adoption de Rogers, mais on discute peu de ce que cette adoption de masse signifie. Comment un afflux de masse pourrait altérer ce qu’est réellement Bitcoin ? J’ai écrit un article intitulé le test de Rorschach de Bitcoin. J’y expliquais que Bitcoin n’est qu’un repo GitHub, son code. Ce sont les utilisateurs et leur comportement qui définissent ce qu’est réellement Bitcoin.

Je crois qu’Eric Voskuil l’a exprimé le mieux :

« Bitcoin n’est pas sécurisé par les blockchains, la puissance de hachage, la validation, la décentralisation, la cryptographie, l’open source ou la théorie des jeux – il est sécurisé par les gens.

La technologie n’est jamais à l’origine de la sécurité d’un système. La technologie est un outil qui aide les gens à sécuriser ce à quoi ils tiennent. La sécurité exige que les gens agissent. Un serveur ne peut pas être sécurisé par un pare-feu s’il n’y a pas de verrou sur la porte de la salle des serveurs, et un verrou ne peut pas sécuriser la salle des serveurs sans un garde pour surveiller la porte, et un garde ne peut pas sécuriser la porte sans risque de dommages corporels.

Bitcoin n’est pas différent, il est sécurisé par des personnes qui s’exposent à des risques personnels. Partager ce risque avec d’autres personnes est l’objectif de la décentralisation. Un système centralisé exige qu’une seule personne assume tous les risques. Un système décentralisé répartit le risque entre les individus qui assurent la sécurité du système. Ceux qui ne comprennent pas la valeur de la décentralisation ne comprennent très vraisemblablement pas le rôle nécessaire des personnes dans la sécurité. »

La technologie du Bitcoin nous offre le potentiel d’une monnaie saine, résistante à la censure et sans permission. Mais si les gens ne sont pas motivés pour gérer des nœuds, pour envoyer et recevoir des bitcoins en paiement de manière souveraine, s’ils se contentent de garder leurs jetons sur les exchanges, s’ils font confiance aux API des wallets pour émettre leurs transactions ou vérifier leurs soldes, ou s’ils ont trop peur de l’application des lois gouvernementales, des interdictions d’exchanges, ou des taxes pour l’utiliser comme monnaie de liberté, alors cela ne demeure qu’un potentiel.

C’est bien beau d’avoir une grande technologie ou des innovations dans le domaine de la vie privée et de la souveraineté, mais si un pourcentage suffisamment important d’utilisateurs de Bitcoin ne prend pas la peine d’apprendre à les utiliser correctement et avec discipline, et choisit plutôt des solutions tierces pratiques, alors le potentiel de Bitcoin risque d’être capturé par des intérêts corporatifs ou gouvernementaux, et je crois en effet que c’est le chemin le plus aisé et le plus probable qui conduira Bitcoin à l’échec.

La culture est donc importante, mais tandis que les choses prennent de l’ampleur et que de plus en plus de nouveaux entrants deviennent des utilisateurs de Bitcoin, personne ne discute vraiment de ce que cet essor implique pour la culture de Bitcoin et de l’influence de ces nouveaux entrants sur Bitcoin.

Si on part du principe que la culture est importante, il peut être utile de clarifier le type de phénomène culturel que constitue Bitcoin. Bitcoin tel qu’il est aujourd’hui n’est pas un phénomène grand public, peut-être que tout le monde sait ce qu’est Bitcoin, mais on a un long chemin à parcourir en termes de nombre d’utilisateurs et d’utilisation quotidienne avant d’arriver à quelque chose qui soit vraiment de l’ordre de l’adoption de masse. Quelque chose d’aussi répandu et ennuyeux que l’utilisation d’un téléphone portable. Bitcoin est donc encore une sous-culture, ou plus précisément, je dirais, une contre-culture. Si on veut comprendre comment les choses vont évoluer, il nous faut saisir ce qu’est une sous-culture, ce qu’est une contre-culture, et comprendre ce qui s’est passé lorsque d’autres sont devenues mainstream.

La façon la plus simple de définir ce qu’est une sous-culture, c’est « moi et les gars », un groupe de personnes qui font les choses un petit peu différemment, qui ont leurs propres valeurs et leur propre façon de faire les choses. Quand tu en viens à fréquenter régulièrement un groupe d’amis, vous commencez à adopter une même façon de parler. Vous partagez un ensemble de références communes, des blagues que les étrangers ne comprennent pas vraiment. Une sous-culture n’est en fait qu’une version de cela à plus grande échelle.

 

Les sous-cultures, telles que nous les connaissons dans la société, ressemblent à ça. Il est possible d’être membre de plusieurs d’entre elles. Cela ne t’exclut pas pour autant de la société dominante. C’est perçu comme un truc un peu excentrique que tu fais, peut-être un peu bizarre, mais pas comme quelque chose de « mal » ou de « mauvais ». Ca a toujours sa place dans la société dominante.

Mais parmi les sous-cultures il y a le sous-ensemble des contre-cultures. Les contre-cultures sont un type de sous-culture qui non seulement ne s’intègre pas mais s’oppose activement aux modèles culturels largement répandus dans la population générale. Il y a un sentiment de fierté et d’attachement à l’idée que tu n’es pas comme le courant mainstream, la société dominante, et que tu vis selon un système de valeurs différent.

Cela peut être aussi extrême que la communauté Amish, des bandes de motards hors-la-loi ou des sectes religieuses, où tu te trouves clairement en marge de la société dominante, ou alors cela peut être quelque chose plus comme le mouvement hippie, où tu coexistes au sein de la société comme un groupe qui s’enorgueillit de ses valeurs communes en opposition au statu quo.

Les contre-cultures existent pour changer la culture dominante. Elles s’établissent souvent en cherchant à attirer l’attention sur certaines contradictions du système dominant, pointant l’hypocrisie ou les problèmes que la culture dominante ne veut pas aborder : l’éléphant dans la pièce. Il n’est donc pas surprenant que les contre-cultures soient souvent à l’origine d’innovations et de changements dans la société. Par exemple, la plupart des premières femmes propriétaires aux États-Unis étaient des tenancières de bordels. À l’époque, une femme possédant des biens était considérée comme bizarre, inutile et peut-être même contraire aux règles d’une société opérationnelle. Mais en tant que maquerelle, vous étiez de toute façon déjà une paria, une réprouvée, et la pression sociale ne signifiait pas grand-chose, ce qui leur donnait la liberté d’imaginer des façons différentes de faire les choses. Dans ce cas, la société a fini par réaliser qu’il y avait une valeur évidente ici, et cela s’est normalisé.

Certains disent que la culture Bitcoin n’existe pas, et je pense qu’il y a une part de vérité là-dedans, mais par ailleurs, comme j’ai commencé à le dire, la culture est simplement la somme collective du comportement des utilisateurs, la façon dont les choses sont faites dans l’ensemble. Donc, si tu arrivais à regrouper sous le terme générique « culture Bitcoin » toutes les opinions et les visions du monde des « utilisateurs de Bitcoin » ou des « propriétaires de bitcoins », je pense que tu serais d’accord pour dire que, quoi qu’il en soit, cette culture Bitcoin est mieux définie comme un mouvement de contre-culture, quelque chose qui s’enorgueillit de sa différence et de son opposition au statu quo. Si on saisit cela, on peut commencer à s’inspirer de l’histoire pour comprendre les bons et les mauvais côtés d’autres contre-cultures qui sont devenues plus mainstream et qui ont finalement influencé et été absorbées par la société.

On peut considérer par exemple la communauté gay, le punk rock, le hip hop et la culture du cannabis. Tous ces trucs qui ont commencé comme des mouvements et des idées contre-culturels radicaux sont aujourd’hui plutôt fades et ont perdu beaucoup de ce qui les rendait grinçants et intensément captivants au départ. On pourrait dire que c’est en partie parce qu’ils ont véritablement transformé la société, que ce qui les rendait différents a été normalisé, et en partie parce qu’ils ont été transformés en objets par des personnes qui ont vu une occasion d’exploiter leur énergie à des fins commerciales ou politiques. Tout comme une idée contre-culturelle cherche à s’imposer face à la société en modifiant le statu quo, le système en place tente de prendre le dessus sur la contre-culture.

C’est ce qu’on appelle la « marchandisation », et pour marchandiser efficacement quelque chose, il faut l’adapter au système en place, au marché de masse, en faire quelque chose d’accessible, de facile à comprendre et de désirable pour un grand nombre de personnes. En général, cela signifie qu’il faut présenter une image très soignée et idéalisée de ce qu’est réellement l’idée, en renforçant les aspects hautement monétisables ou commercialisables, et en écartant ou en minimisant les éléments qui ne le sont pas. Cela se fait par le biais de deux processus : la diffusion et la défusion.

Qu’est-ce que la diffusion?
Pour qu’une idée soit désirée par les masses, ces dernières doivent d’abord savoir qu’elle existe et pourquoi elles veulent y participer. Elle doit être distillée en quelque chose qui peut être crié sur les toits, présenté dans une publicité de 10 secondes sur Tiktok ou Instagram. Elle doit pouvoir être encapsulée dans un slogan ou un mantra simple et mémorable, dans des messages et des images facilement communicables et compréhensibles par le plus petit dénominateur commun. Typiquement, cela veut dire que les nuances et les subtilités de l’idée son contexte sous-jacent sont réduits et que ce qui est présenté et compris par les nouveaux arrivants est une image beaucoup plus simple que la réalité.

Qu’est-ce que la défusion ?
Les contre-cultures se fondent sur une opposition active au statu quo, aux masses mêmes que la marchandisation vise. Par conséquent, pour rallier ces mêmes masses, il est nécessaire de dépolitiser ou d’atténuer les valeurs, les significations, les idéaux et le potentiel subversif d’une idée, en modifiant la signification de choses qui n’étaient peut-être pas acceptables pour un certain pourcentage du grand public. En général, cela signifie donner la priorité à la convenance, se concentrer sur les aspects agréables et positifs et minimiser ou ignorer ceux qui ne le sont pas, parfois même désinformer le public sur ce qu’est réellement la chose. Cela crée des frictions entre les participants et cela dénature l’idée au fur et à mesure que de nouveaux entrants arrivent.

Par la diffusion, le marché réduit la richesse et la nuance de l’idée ; par la défusion, il la neutralise et diminue son potentiel de changement radical. Le but est à la fois de faciliter son conditionnement, sa distribution et sa consommation par le citoyen moyen et d’augmenter massivement le nombre de personnes qui font partie (ou croient faire partie) d’une contre-culture. Généralement, l’objectif est de tirer profit de cet afflux massif de personnes sur le plan financier ; parfois, il s’agit de les exploiter sur le plan politique, mais toujours dans l’intention de privilégier le nombre à la nuance. Parfois, il s’agit d’une croyance bien intentionnée selon laquelle l’union fait la force si l’on veut provoquer un changement, et parfois, il s’agit d’une avidité purement opportuniste de la part de personnes qui considèrent le changement sociétal comme un moyen d’accroître leur position financière ou politique.

Alors que se passe-t-il exactement lorsque tu prends une idée contre-culturelle et que tu essaies d’y faire adhérer une tonne de nouvelles personnes ? Afin de comprendre ce qui risque de se produire à mesure que Bitcoin croit et s’intègre dans le courant dominant, jetons un coup d’œil à quelques cadres d’analyse qui traitent de la normalisation d’autres sous- et contre-cultures.

Le premier est la théorie mimétique de René Girard

En tant qu’êtres humains, nous apprenons souvent par imitation. Enfants, nous apprenons à imiter nos parents qui font des choses que nous ne sommes pas encore capables de comprendre, et adultes, notre temps et notre attention sont limités. Une infime partie de ce que nous apprenons et par extension de ce que nous faisons résulte d’un examen conscient plutôt que de l’imitation de ceux à qui nous voulons ressembler. Le désir est un processus social et nos désirs sont touchés par une forme de contagion. Ce n’est pas un phénomène autonome mais bien collectif.

Nous désirons des choses parce que d’autres personnes les désirent.

Il y a une distinction entre le désir spontané, c’est-à-dire le désir de la chose elle-même, et le désir mimétique, qui consiste à vouloir quelque chose parce que l’on veut émuler ou imiter quelqu’un d’autre. Les premiers adeptes du Bitcoin sont venus parce qu’ils s’intéressaient à la technologie ou au potentiel de changement social, mais comme tout phénomène qui prend de l’ampleur, de plus en plus de personnes s’impliquent tout simplement à cause du volume du bruit. « C’est le truc que font tous les jeunes cool ». Ils le désirent parce que tout le monde le désire, et non parce qu’ils y sont arrivés par leur propre travail d’exploration, de raisonnement et de compréhension.

Au fur et à mesure que les choses se diffusent, comme on l’a vu précédemment, cela devient plus courant. Si vous voyez des panneaux d’affichage pour Bitcoin ou Crypto tous les kilomètres ou presque, comme cela a été mon cas cette année en venant de l’aéroport de Miami à l’hôtel à l’occasion de la conférence Bitcoin 2022, vous commencez à attirer des gens qui s’intéressent à Bitcoin non pas parce qu’elles sont arrivées rationnellement à le désirer, mais par une tendance humaine toute naturelle à suivre ce dont les autres parlent.

Les gens s’intéressent à Bitcoin non pas parce qu’ils trouvent Bitcoin intéressant en soi, mais parce qu’ils croient qu’Elon Musk est un homme intelligent et brillant. S’il parle de Bitcoin, faut que j’en fasse autant. Ses tweets peuvent faire grimper ou chuter les prix, car une partie importante du monde achètera des bitcoins non pas parce qu’ils veulent ou comprennent l’actif lui-même, mais parce qu’ils désirent être comme Elon Musk. De plus, comme ces nouveaux venus apprennent par imitation, ils ne peuvent pas réfléchir au truc de manière critique et objective, mais seulement imiter les mots et les points de discussion comme un enfant imite ses parents.

La théorie mimétique stipule que lorsque les choses gagnent en traction sociale et font l’objet d’un désir croissant, les participants s’engagent dans une escalade de surenchère vers cette chose qu’ils désirent. Comme ils ne peuvent pas se forger d’opinion objective à son sujet, ils fondent leurs actions sur l’observation des mots et des actions des autres, puis essaient d’aller un peu plus loin. C’est ainsi que les centres d’intérêt se divisent et que des factions commencent à se former autour des groupes de participants. Cela renforce l’attrait mimétique de l’agitation d’un nombre toujours plus grand de personnes se disputant la chose. Finalement, l’attention se déplace de l’objet vers le conflit lui-même. Tout le monde parle du drame interne et des rapports de pouvoir entre participants plutôt que de l’objet lui-même. Les nouveaux participants ne comprennent l’espace que comme une arène en compétition pour l’attention humaine plutôt que comme un espace de poursuite de la vérité, de la connaissance ou d’objets matériels.

Ce manque de différenciation ou de capacité à raisonner et à quantifier objectivement une position à propos d’un objet de désir entraine un glissement vers le tribalisme, et la discussion se transforme en démonstrations performatives de pureté et d’allégeance envers les différentes factions.

 

Vient ensuite, le cadre d’analyse des geeks, serpillères et sociopathes de David Chapman.
Le modèle de David explique que lorsque des sous-cultures marginales se développent, survient une invasion de nouveaux venus qui finissent souvent par les pourrir.

Un phénomène commence par des créateurs qui inventent un truc intéressant : une religion, un genre musical, une théorie politique, un logiciel, etc. Ensemble, ils créent une scène. Ils partagent leur énergie et se renvoient la balle, créant ainsi quelque chose de nouveau et d’innovant.

Cela attire les fanatiques, des personnes qui ne sont pas des créateurs mais qui sont attirées par ce qui est créé. Ils apportent de la cohésion à l’édifice, par le temps qu’ils y consacrent, leur argent, leur organisation et leur logistique. Les deux sont des geeks, ils dépensent tout leur temps et leur énergie à comprendre le truc, à en parler et à en apprendre les tenants et les aboutissants. Certaines choses restent un hobby geek de niche, mais si elles sont suffisamment excitantes et qu’elles peuvent être appréciées sans être trop détaillées ou geek, elles attirent un autre groupe, les serpillères.

Les serpillères sont des fans qui viennent passer un bon moment mais qui contribuent aussi peu que possible. Ils ne sont pas tous mauvais, ils apportent la masse nécessaire à la diffusion d’une sous-culture. Ils renforcent la validité des idées du créateur, ils apportent du chiffre et généralement de l’argent qui, à l’échelle, peuvent faire du truc une force économique et permettre aux créateurs et aux fanatiques de devenir professionnels. Mais contrairement aux geeks, leurs motivations pour le truc ne sont pas altruistes. Ils se contentent d’absorber tout ce qu’il y a de bon et se plaignent de ce que quelqu’un d’autre devrait faire pour résoudre leurs problèmes. Ils diluent la culture avec leurs demandes de versions du truc moins bizarres, moins compliquées, plus faciles à digérer. Plutôt que de consacrer tout leur temps et leur énergie à parler du truc, ils veulent parler de politique, de sport ou de régimes à la mode. Ils traitent les fanatiques comme des serveurs. À ce stade, tout cela peut commencer à blaser les fanatiques, qui peuvent commencer à disparaître ou à se désintéresser du truc.

C’est souvent à ce moment-là qu’apparaît notre dernier groupe, les sociopathes. Les créateurs ont créé du capital culturel, les fanatiques ont créé du capital social, les serpillères ont fourni du capital liquide, et les sociopathes voient une opportunité inexploitée de manipuler et de récupérer les trois. Pour les serpillères, les sociopathes ressemblent aux créateurs, mais ils sont mieux habillés et parlent mieux. Les sociopathes deviennent les enfants les plus cools et commencent à soutirer l’argent, les relations et le sexe que les geeks n’ont jamais réussi à soutirer aux serpillères. Ils jouent de leur position d’autorité sur les serpillères pour dépouiller le truc. Finalement, ils utilisent tout le « cool ». Le truc est tellement détourné de sa forme originale au nom de sa commercialisation qu’il en a perdu tout attrait, les serpillères commencent à se dissiper, et les sociopathes se re-brand comme leaders d’opinion sur le prochain truc à exploiter.

 

Enfin le dernier modèle c’est l’Éternel Septembre.
C’est un raccourci pour désigner le moment où le déluge de nouveaux utilisateurs devient trop important pour que les gardiens de la culture existante puissent le gérer. Au début des années 90, l’un des premiers moyens de communication à décoller sur l’internet était Usenet, la première version de ce que on appellerait probablement aujourd’hui un forum.

À l’époque, Usenet nécessitait généralement une adresse électronique universitaire et n’était utilisé que par un petit nombre de geeks qui avaient mis au point des règles et une étiquette tacites, parfois contre-intuitives pour un nouvel utilisateur, mais faisant de Usenet un espace agréable et fonctionnel. Au début des années 90, Usenet était un endroit fantastique où les gens expérimentaient pour la première fois la possibilité de communiquer instantanément avec des inconnus du monde entier sur n’importe quel sujet ou thème d’intérêt bizarre. Or, chaque mois de septembre, un nouvel afflux d’étudiants de première année avait accès à Usenet, et ils arrivaient, méconnaissant la culture, et foutant le bordel pendant un petit moment avant d’être « éduqués » par les utilisateurs existants.

Mais en 1993 AOL s’est mis à fournir un accès Usenet à ses abonnés. Ce qui veut dire que le flux constant de nouveaux utilisateurs est devenu une cohorte trop importante à absorber pour la culture existante. À partir de 1993, c’était toujours septembre sur Usenet, le nouveau gars ennuyeux qui ne comprenait pas était la norme, pas l’exception.

Bitcoin connait ses hauts et ses bas en termes d’afflux de nouveaux utilisateurs, principalement en lien avec le prix, mais on est sur le point d’entrer dans l’éternel septembre du Bitcoin. Ceux qui sont là depuis de nombreuses années comprennent des choses sur Bitcoin qui sont difficiles à communiquer dans un article de presse ou un tweet. Elles doivent être vécues et comprises au fil du temps, en un sens, comme beaucoup de choses que vous devez enseigner aux enfants. Mais l’éternel mois de septembre est une vague incessante quotidienne de cela : imagines que tu sois propriétaire d’un restaurant et que tu doives apprendre chaque jour à tes clients, les uns après les autres, à utiliser un couteau et une fourchette. C’est ce à quoi nous sommes confrontés avec l’éternel septembre du Bitcoin, une vague après l’autre de nouveaux bitcoiners qui ne savent pas la moindre chose sur l’étiquette ou sur la fonctionnalité du Bitcoin, pourquoi la décentralisation est importante, pourquoi les tiers de confiance représentent des failles de sécurité, pourquoi Ripple ne passera pas à 589 USD. Peu importe, que tu le veuilles ou non, ils arrivent. La seule réponse est d’accepter que c’est toujours septembre au Bitcoinistan.

Pour conclure, on peut résumer tout ce qui précède en quelques points:

> Bitcoin est une contre-culture.

À mesure que Bitcoin se développe, il va y avoir une tension existentielle et un compromis à somme nulle entre la mesure du changement que Bitcoin produit sur le système en place et la mesure dans laquelle il est lui-même changé par le statu quo.

> Ce qui nous amène à la question suivante : Bitcoin doit-il être aussi courant que le téléphone portable ?

Si non, quelle est la limite à ne pas franchir et comment peut-on articuler cela précisément ?

Le KYC (Know Your Customer – les procédure en matière d’identification des clients) est-il acceptable s’il facilite l’arrivée de nouvelles vagues de bitcoiners bientôt radicalisés ? Dans quelle mesure doit-on permettre aux nouvelles technologies de seconde couche de trader de la souveraineté pour de la facilité d’utilisation afin d’embarquer des millions de nouveaux utilisateurs, alors que la prévalence du commerce sur le Lightning Network au Salvador peut suggérer que l’apathie est un problème plus grand ? Si on n’a pas de réponses claires dans un sens ou dans l’autre pour chacune de ces questions et pour bien d’autres encore, alors sachons que d’autres vont y répondre pour nous.

> Il y a un compromis à faire entre la nuance et le nombre.

Les idées complexes doivent être simplifiées et communiquées de manière à ce que le plus petit dénominateur commun puisse les saisir, sans pour autant rendre les choses ambiguës au point que les principes fondamentaux soient mal compris.

> C’est toujours le mois de septembre au Bitcoinistan.

Vous pouvez en être chagriné ou faire quelque chose pour y remédier. Nous devrions pardonner aux novices, aux nouveaux arrivants, car ils ne savent pas ce qu’ils font. C’est à nous de garder la porte ouverte, d’éduquer et d’accueillir ceux qui veulent apprendre, et nous devons leur fournir des informations et la capacité et l’espace pour raisonner sur Bitcoin.

> Le désir mimétique mène aux feuilletons et à la distraction

Parce que si on ne leur fournit pas ces informations, ni la capacité et l’espace pour raisonner, cela conduit au bruit mimétique des nouveaux arrivants. Un monde où il est facile pour les sociopathes et les cultes de la personnalité de faire dérailler la conversation et de l’orienter de manière à favoriser leur ego et leurs finances.

> Il vaut mieux monter la garde comme un psychopathe plutôt que d’être envahi par les sociopathes.

Si on reprend le modèle de Chapman, les sous-cultures sont détruites par des personnes qui ne comprennent pas et ne respectent pas ce qui les rend spéciales. Ils sont juste là pour leurs propres fins égoïstes. Ils détruisent les bon trucs parce qu’ils tuent la poule aux œufs d’or. Ils ne comprennent pas que l’altruisme est un intérêt personnel. Mais si personne n’a formulé ce que signifie cet altruisme, quels sont les principes fondamentaux qui rendent cool une chose cool, alors comment peuvent-ils le faire ? C’est à nous de définir ces principes. Et aux nouveaux entrants qui arrivent, de les diffuser clairement. Et contre les sociopathes, nous devons les défendre et les défendre comme un psychopathe.

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