Andreas Antonopoulos
Educateur Bitcoin, auteur
Chaine YT
Twitter : @aantonop
Ce texte est l’extrait d’un chapitre du livre best-seller L’Internet de l’argent Vol I. (À lire absolument ! dispo notamment ici). Il s’agit de la transcription d’une conférence donnée par Andreas au Meetup Bitcoin de Zurich (Suisse) en mars 2016 . L’enregistrement vidéo de cette conférence est disponible ici.
NB: Les illustrations ne figurent pas dans le texte original.
Aujourd’hui, je voudrais parler d’un concept que j’aime appeler inversion d’infrastructure. Je vais parler de comment les choses changent quand une nouvelle technologie doit utiliser au début une infrastructure ancienne et comment ceci crée un conflit, une pression qui peut conduire à une inversion d’infrastructure.
Nouvelles technologies sur infrastructures anciennes
[…] « Chaque fois qu’une nouvelle technologie disruptive est adoptée, elle doit, dans ses premières années, être portée par la technologie existante qui n’est pas disruptive. »
Voici un aperçu historique de la manière dont ces choses se déroulent. Quand vous lisez quelque chose 20, 30, 40 ans plus tard, à propos d’une technologie disruptive en son temps, c’est lumineux. C’est évident parce que le recul est source de clarté. Par exemple, les voitures furent une grande invention. Et bien sûr quand les automobiles ont été inventées, vous pensez peut-être que tout le monde a dit, « Hé, nous n’avons plus besoin de chevaux désormais. » OK ? Mais ce n’est pas exactement ce qui s’est passé. Au contraire, ils ont dit, « C’est une folie. Ces machines bruyantes et dégoûtantes vont probablement nous tuer tous ; elles ne marcheront jamais. Et pourquoi quelqu’un, à part les gens riches stupides jouant avec ces gadgets dingues et bruyants, voudrait utiliser une de ces machines horribles, alors que nous avons d’excellents chevaux ? ».
Infrastructure pour chevaux
[…] au début, la technologie disruptive doit vivre dans un environnement créé par la technologie qu’elle remplace. Quand vous montez pour la première fois à bord de votre automobile toute neuve dans une ville, vous roulez sur des routes utilisées par les chevaux avec une infrastructure conçue pour eux. Il n’y a pas de feux de signalisation. Il n’y a pas de Code de la route. Les routes ne sont pas pavées.
« Vous êtes dans une société de chevaux et vous êtes le fou qui conduit l’un de ces véhicules sans chevaux. »
[…] Ça n’a pas commencé par, « Oui, formidable, nous avons maintenant inventé l’automobile. Permettez-moi de démontrer ses capacités sur l’autobahn ». Non : les gens riches et fous qui expérimentaient cette technologie conduisaient leurs voitures sur des routes creusées d’ornières, là où les chevaux étaient passés. Sur des routes non conçues pour des automobiles, boueuses. Et que se passait-il ? Les voitures s’enlisaient parce qu’elles n’avaient pas quatre jambes pour trouver l’équilibre. Les critiques ont dit, « Ah, on vous avait dit que ça ne marcherait pas. Regardez-vous. Vous ne pouvez même pas vous désembourber. Et où allez-vous trouver de l’essence ? Il y a une seule station d’essence.
Des chevaux aux voitures
[…] Et alors quelque chose de très intéressant s’est produit. Quand vous pavez les routes et les rendez carrossables pour les voitures, l’ancienne technologie (les chevaux) peut toujours les utiliser. Si vous voulez faire un joli tour de Zürich à dos de cheval, je suis certain que ce tour sera parfaitement confortable. Les chevaux sont très à l’aise sur l’asphalte, tout comme les skateboards, les Segways, les motos et les vélos – des technologies qui n’existaient pas dans le temps.
[…] C’est une inversion d’infrastructure. Dans un premier temps, la nouvelle technologie fonctionne sur l’ancienne infrastructure et puis, ça s’inverse. […] Voyons d’autres exemples.
Infrastructure du gaz naturel
[…] à l’époque où l’électricité en était à ses débuts. Il n’y avait pas d’infrastructure. Alors comment vous faites pour installer l’électricité dans une maison ? Tout d’abord, la première raison d’installer l’électricité chez vous, c’est que vous êtes l’un de ces riches fous. Probablement l’une de ces mêmes personnes qui ont acheté une automobile. Vous êtes maintenant en train d’installer la lumière dans vos murs ce qui est assurément une idée folle qui aura pour conséquence de mettre le feu à votre maison.[…]
Comment était l’infrastructure de l’époque ? Essentiellement conçue pour fournir du gaz. L’éclairage au gaz était assez courant dans la majorité des villes. Il y avait des canalisations qui transportaient le gaz pour l’éclairage routier principalement mais aussi pour l’éclairage des maisons et pour le chauffage. Cette infrastructure n’était pas utilisable pour l’électricité.[…]
Si vous vouliez l’électricité, vous deviez créer une nouvelle infrastructure.
Alors nous voyons un autre aspect de cette inversion d’infrastructure lorsque ceux qui sont installés dans le statu quo regardent vos nouveaux projets électriques et disent, « Il n’existe pas un réseau suffisamment étendu pour attirer des clients. Et il n’y a pas suffisamment de clients réclamant un réseau de distribution. Ceci ne se produira jamais ».
Et c’est exactement ce qu’ils avaient dit au sujet des voitures. Ils avaient dit, « Il n’y a pas assez de stations d’essence pour faire le plein de vos voitures et il n’y a pas assez de clients réclamant des stations d’essence. Ceci ne se produira jamais. »
Du gaz naturel à l’électricité
Ensuite, l’électrification a commencé à se généraliser et les gens ont découvert qu’une fois l’infrastructure posée, vous pouviez l’utiliser non seulement pour produire de l’électricité mais aussi pour faire tourner les anciennes applications et en créer de nouvelles. Vous pouviez obtenir la lumière et le chauffage par l’électricité et, dans certains cas, d’une manière plus efficace. Mais en plus, vous pouviez faire désormais de nouvelles choses : faire tourner des ventilateurs, l’air conditionné, des moteurs, des mixers, des séchoirs à cheveux, et, d’une manière générale, les maisons ne brûlent pas trop souvent à cause de l’électricité.[…]
De la voix aux données
Et puis nous avons assisté aux exemples d’inversion d’infrastructure les plus spectaculaires qu’il m’ait été donné de voir ou de trouver dans l’Histoire. Quand Internet était indésirable et acheminé via les lignes téléphoniques avec réticence. Puis Internet a été acheminé via les lignes téléphoniques par des compagnies de téléphone devenant des fournisseurs d’accès à Internet. Puis, progressivement, leur ossature s’est orientée vers les données. Puis tout le réseau est devenu numérique. Puis le réseau tout entier a commencé à charger Internet. Puis, ils ont installé toutes leurs lignes téléphoniques sur Internet.
De nos jours, n’importe quel appel téléphonique que vous effectuez se déroule sur Internet à quelques exceptions près dans certains pays en voie de développement. Une inversion d’infrastructure totale. « De nos jours, n’importe quel appel téléphonique que vous effectuez se déroule sur Internet à quelques exceptions près dans certains pays en voie de développement. Une inversion d’infrastructure totale. »
On s’est aperçu qu’il était très difficile d’acheminer des données à travers une ligne téléphonique étroite prévue pour la voix mais si vous inversez l’équation, mettre de la voix sur une connexion de données est d’une simplicité biblique.
De la banque à Bitcoin
Désormais nous avons Bitcoin. Nous avons une plateforme de confiance décentralisée qui peut opérer des transactions sur une base globale sans intermédiaires. Mais nous vivons toujours dans l’ancien système.[…]
De nos jours, nous roulons en voiture sur les routes boueuses de la banque. La super voiture Bitcoin, la formule 1 de la finance roule sur les routes boueuses et cahoteuses de l’infrastructure bancaire des années soixante-dix.
Les banques regardent ça et disent, « Ça ne marche pas. Regardez, vous devez faire toutes les réglementations que nous faisons. Vous devez faire toutes les identifications que nous faisons. Vous devez tout ralentir pour vous mettre au diapason de la banque traditionnelle. Ça ne marchera jamais. Et de plus, vous n’avez pas assez d’utilisateurs pour créer une infrastructure et vous n’avez pas une infrastructure suffisante pour attirer de nouveaux utilisateurs. Donc, clairement, ce truc ne marchera jamais. » […]
Je prédis que dans les prochaines 15 à 20 années, nous assisterons à une grande inversion d’infrastructure dans la finance. Dans un premier temps, les banques vont résister. Puis les banques l’adopteront. Les banques feront tourner leurs systèmes à côté des blockchains et Bitcoin et, en définitive, elles feront tourner la banque traditionnelle comme une application sur le registre de confiance décentralisé. Parce que, alors même qu’il est très difficile de tenir un registre de confiance décentralisé qui est connecté à tous ces anciens systèmes bancaires, la simulation du système bancaire ancien sur un registre décentralisé, sur Bitcoin, sur une blockchain ouverte, globale, est banale. Tout ce que vous avez à faire, c’est utiliser toutes les capacités en les ralentissant. Par exemple, je peux créer une application prenant votre transaction Bitcoin en trois à cinq jours ouvrés pour un coût de 5 dollars. Je fais alors de la banque traditionnelle.[…]
Pour ceux d’entre nous qui sont habitués au système bancaire de l’ancienne génération et qui disent, « Je n’aime pas cette finance rapide. Elle me met mal à l’aise. Je veux m’asseoir à ma table de cuisine chaque dimanche, pointer mon chéquier pour m’assurer qu’aucun chèque n’a été rejeté. Je n’aime pas ces transferts électroniques instantanés globaux. Ça me fait peur », nous pourrons ralentir ce processus.[…]
Il est très difficile d’autoriser le futur sur notre système traditionnel. Quand vous tentez de le faire, certains pointent vers le futur et disent, « Regardez, ça ne marche pas. » Quand vous inversez l’infrastructure, il devient très facile de simuler le passé sur le réseau du futur.