Le prix de demain – Introduction

Jeff Booth
Entrepreneur, visionnary leader 
Ego Death Capital

Au choix : podcast et/ou lecture

« Les idées, justes ou fausses, des philosophes de l’économie et de la politique ont plus d’importance qu’on ne le pense généralement. À vrai dire le monde est presque exclusivement mené par elles. Les hommes d’action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d’ordinaire les esclaves de quelque économiste passé. »

La technologie est déflationniste. Ce n’est pas une conjecture. C’est l’essence de la technologie. Et comme la technologie, de plus en plus, est à la base du monde qui nous entoure, cela signifie que nous entrons dans une ère de déflation comme le monde n’en a jamais connu. Nous n’aimons peut-être pas ce que cela signifie, et il se peut que nous ne soyons pas prêts pour les changements présagés, mais cela ne change en rien les faits.

Nos systèmes économiques n’ont pas été conçus pour un monde dirigé par la technologie où les prix ne cessent de baisser. Ils ont été construits pour une ère pré-technologique où le travail et le capital étaient inextricablement liés, une ère qui comptait sur la croissance et l’inflation, une époque où nous gagnions de l’argent à partir de la rareté et de l’inefficacité. Cette époque est révolue. Mais nous continuons à prétendre que ces systèmes économiques fonctionnent toujours.

Nous sommes à un point critique, car beaucoup de nos choix sont en fait des choix économiques. La plupart des choix se résument à des réalités économiques : un compromis entre notre valeur perçue et le prix. Nous pouvons aspirer à être plus respectueux de l’environnement tout en choisissant de conduire une voiture pratique pour nous mais qui coûte cher à l’environnement. Nous pouvons souhaiter que tous nos aliments soient biologiques, mais ne pas vouloir ou ne pas pouvoir en payer le coût supplémentaire. Les entreprises ne sont pas différentes. Une entreprise n’est qu’un groupement de personnes qui font des choix dans le but de croître en tant qu’entreprise, tout en étant en concurrence avec d’autres entreprises qui tentent de faire de même. « Améliorer les affaires » se résume souvent aux dures réalités de l’économie -– ou à la valeur que l’entreprise apporte à ses utilisateurs (que cette valeur soit perçue ou réelle). Ces choix économiques visant à être compétitif et à conquérir davantage de marchés ont des répercussions sur presque tout le reste. Qu’il s’agisse de votre revenu, votre style de vie, vos possibilités de voyage et de loisirs, ou la manière dont vous prenez soin de votre famille, l’économie est fondamentale.

De temps en temps, nous apprenons une nouvelle information qui remet en question tout ce que nous avons appris et ce en quoi nous avons confiance. Dans ces moments-là, notre socle de connaissances s’effrite – et avec lui, bon nombre des croyances que nous avons construites par-dessus. Ces transitions sont difficiles parce que nous ne nous défaisons pas facilement de nos croyances.

Nous sommes à la croisée des chemins. Ce qui fonctionnait auparavant ne fonctionnera plus à l’avenir. La technologie évolue trop vite, et elle ne fera que s’accélérer. Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas remettre le génie dans la bouteille. Nous devons construire un nouveau cadre pour nos économies locales et mondiales, et vite, ou la même technologie qui a le pouvoir de nous apporter l’abondance – à nous ainsi qu’à notre monde – va au contraire le détruire.

La seule chose qui stimule la croissance dans le monde d’aujourd’hui est le crédit facile, qui est créé à un rythme difficile à concevoir. L’augmentation de ce crédit et de la dette correspondante nous maintient enfermés dans un système où nous sommes les proverbiales grenouilles dans une marmite dont la chaleur de l’eau monte lentement sans que nous le remarquions. À mesure que nous nous efforçons de maintenir un système économique construit pour le passé, nous créons plus que des problèmes économiques. Sur notre chemin actuel, notre monde va devenir profondément plus polarisé et dangereux.

Les événements d’apparence aléatoires du Brexit, de Trump et de la montée du populisme et de la haine dans notre monde ne sont pas du tout incohérents ou isolés. Ils sont tous liés à une perte d’espoir d’un avenir meilleur pour de grandes parties de la population. Sous cette perte d’espoir se cache une nouvelle réalité économique où les pauvres ne sont pas les seuls à ne pas bénéficier des gains économiques. Une grande partie de la classe moyenne se sent également lésée. Au lieu que la technologie permette une semaine de travail de quinze heures, comme Keynes l’avait prédit dans son essai des années 1930 intitulé « Perspectives économiques pour nos petits-enfants », un grand nombre de personnes travaillent plus longtemps, dans des emplois dont elles craignent, à juste titre, la disparition prochaine. Ils sont pris au piège et se demandent comment ils pourront subvenir aux besoins de leur famille et à leurs besoins essentiels lorsque l’inévitable arrivera. Simultanément, nous assistons à une augmentation massive des inégalités : aux États-Unis, les 5 % les plus riches de la population détiennent désormais plus des deux tiers de la richesse, tandis que les 95 % restants se battent pour obtenir leur part du tiers restant.1 Trois personnes seulement – Jeff Bezos, Bill Gates et Warren Buffett – possèdent plus de richesses que 50 % de la population.

Il est facile de montrer du doigt les riches et de les blâmer, mais il faudrait plutôt se concentrer sur un système défaillant qui renforce radicalement les inégalités. En fait, de nombreuses familles parmi les plus riches sont conscientes du même risque pour la société et ont l’intention d’essayer d’y remédier, soit en participant au débat et en faisant entendre leur voix, soit en s’engageant dans la philanthropie. Le Giving Pledge, signé par 204 personnes à l’heure où nous écrivons ces lignes, consacre la majorité de sa richesse à la philanthropie. Mais cela ne devrait même pas être nécessaire.

La concentration de la richesse n’a pas été aussi élevée depuis la fin des années 1920. Le monde devient naturellement plus dangereux lorsqu’un grand nombre de personnes, de plus en plus anxieuses quant à leur propre avenir économique, voient une incroyable création de richesses entre les mains d’un très petit nombre de personnes. Cet environnement fournit un terrain fertile pour les révolutions. La perte de confiance dans des systèmes censés être fiables conduit de manière prévisible à des reproches et à des divisions, qui peuvent tous être opportunément redirigés vers des groupes cibles tels que les immigrants, les groupes religieux, les partis politiques, d’autres pays, etc. En d’autres termes, le populisme explose à cause d’un système injuste. Il est difficile de ne pas se remémorer d’une perte d’espoir similaire et de la montée du populisme et des idéologues dans le monde entier au début des années 1930, qui a dégénéré en la Seconde Guerre mondiale.

C’est cette même perte d’espoir qui est à l’origine des élections d’aujourd’hui. Des pays qui se considéraient autrefois comme éclairés sont déchirés par une xénophobie hideuse, engagés dans le protectionnisme et la fermeture de leurs frontières. Des populations entières se laissent influencer par des politiciens qui attisent la colère et la polarisation en créant des récits de type « nous contre eux » sans comprendre les causes profondes de notre nouvelle réalité. Nombre d’entre eux utilisent les réseaux sociaux comme une arme puissante dans leur volonté de consolider leur pouvoir. Ils créent des communautés influentes en ligne qui alimentent la dissension dans les rues. En Allemagne, le parti populiste d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) est passé de zéro siège aux élections de 2013 à la formation du plus grand parti d’opposition de ce parlement en 2019. Partout dans le monde, les régimes autoritaires fleurissent. La tendance à l’accroissement des inégalités des richesses, de la polarisation et de la discorde constitue une menace majeure pour notre avenir collectif. Et tout cela est causé par la même chose : l’adhésion à un système économique conçu pour une autre époque.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Et où allons-nous ?

L’âge de l’inflation

Toute notre vie, nous avons vécu dans un monde où l’espoir d’un avenir meilleur était une force motrice de l’économie – un monde où la croissance règne. Nos parents ont grandi dans ce même monde, et leurs parents aussi. C’est ce que nous connaissons.

Le rêve américain épouse l’idée que, peu importe qui vous êtes, si vous travaillez suffisamment dur ou si vous êtes suffisamment innovant, vous pouvez réaliser presque tout ce que vous désirez. Les emplois toujours mieux rémunérés sont au cœur de cette construction. Nous nous attendons à commencer notre carrière, à gagner plus au fil du temps et, espérons-le, à dépasser la hausse des prix. Si nous avons la chance d’avoir acheté des actifs, la hausse des prix de ces actifs, en raison de l’inflation, crée une richesse à plus long terme. Si nous utilisons l’effet de levier de ces actifs en tirant parti d’une dette, notre rendement est encore plus élevé, car la valeur de l’actif augmente tandis que les dollars que nous remboursons par la dette sont exprimés en dollars d’aujourd’hui – et avec l’inflation, et la croissance de nos revenus due à l’inflation, nous remboursons la dette de demain en dollars qui valent moins.

Le logement est l’exemple classique de cet effet de levier. Mes parents ont acheté leur première maison dans la banlieue de Vancouver, au Canada, en 1977 pour 69 000 dollars. À l’époque, c’était une grosse somme d’argent pour eux. Mais avec une mise de fonds de 10 000 $ et un prêt hypothécaire de 59 000 $, ils étaient sur le point de voir les avantages de l’achat d’actifs dans un environnement inflationniste. Leurs revenus ont augmenté au cours de leur carrière et, avec cette augmentation, l’hypothèque de 59 000 $ est devenue plus facile à payer. Pendant ce temps, l’inflation a également augmenté la valeur de leur maison : aujourd’hui, elle vaut environ 1,5 million de dollars.

Presque tous les actifs partagent la même histoire fondamentale, qu’il s’agisse d’actions, de ressources ou d’art. Et il n’y a rien de fondamentalement mauvais dans cette équation. Elle est à l’origine d’une richesse et d’une prospérité énormes. Il est vrai que certains propriétaires d’actifs ont prospéré plus que d’autres, ce qui a contribué aux inégalités, mais globalement, ce processus a permis à une grande partie du monde de sortir de la pauvreté.

Mais que se passe-t-il lorsque nous ne pouvons plus compter sur un système de croissance et d’inflation ? Et si une force plus puissante rendait inutiles la plupart de nos efforts pour créer de l’inflation ? Et si, en essayant désespérément de nous accrocher à un modèle inflationniste dépassé, nous accentuons les inégalités des richesses, la polarisation et la discorde dans nos sociétés ?

Aujourd’hui, nous sommes dans ce scénario. La croissance et l’inflation continues auxquelles nous nous attendons – le système sur lequel nous avons bâti les économies de nos nations – n’existent plus. La technologie est une force déflationniste si grande qu’en fin de compte, nous ne pouvons rien faire pour l’arrêter.

Le monde de la technologie en contraction

J’ai reçu mon premier téléphone portable en 1988, un cadeau de mon employeur alors que je partais commencer une nouvelle carrière. C’était un cadeau incroyablement spécial parce qu’il était complètement inattendu. En 1988, les téléphones portables étaient assez rares, et le Motorola 8000 a été l’un des premiers à être véritablement portable – avant cela, il fallait les transporter dans une valise. Le téléphone avait la taille et le poids d’une brique avec une longue antenne. Il avait une autonomie de trente minutes en communication avant de devoir être rechargé pendant dix à douze heures, et il coûtait environ 2 000 dollars. Mes amis voulaient l’utiliser pour passer des appels, juste pour dire qu’ils parlaient sur un téléphone portable, et j’essayais de faire attention à la quantité que je leur permettais, car les appels coûtaient 1,50 dollar la minute. Pas de texte, pas d’applications, pas de données, juste des appels téléphoniques – mais cette possibilité de passer un appel quand je le voulais au lieu d’essayer de trouver une pièce de 25 cents et un téléphone public était révolutionnaire. Ma première facture de téléphone portable, avec les frais d’itinérance, s’élevait à environ 1 200 dollars. Je m’en souviens très bien car c’était une somme folle à cette époque de ma vie. Mais pour moi, en 1988, la technologie était enfin arrivée.

C’était il y a un peu plus de trente ans, et il est absolument stupéfiant de voir le chemin que nous avons parcouru.

Sortez votre smartphone. Quelle est sa taille ? Combien a-t-il coûté ? Combien coûte son utilisation ? Qu’est-ce qu’il peut faire ?

Cette même force déflationniste a rendu nos téléphones moins chers et plus puissants : elle a transformé votre téléphone en appareil photo, lampe de poche, carte, mètre, calendrier, portefeuille, accordeur de guitare et un million d’autres choses. Tout cela gratuitement ou presque.

Lorsque nous utilisons la technologie, il y a un effet exponentiel dans son rendement ou sa puissance par rapport à son prix. Nous obtenons des avantages bien plus importants et le prix continue de baisser. L’abondance qu’elle apporte à nos vies est incroyable et elle est partout autour de nous. Au chapitre 4, nous explorerons en profondeur ce qui sous-tend cet extraordinaire gain de performance. Mais il suffit de regarder nos téléphones pour se faire une idée convaincante des effets déflationnistes de la technologie.

La déflation, en termes simples, c’est quand vous en avez plus pour votre argent – tout comme l’inflation est quand vous en avez moins pour votre argent. Avec la déflation, une monnaie prend de la valeur parce que son pouvoir d’achat augmente par rapport aux biens et aux services. Avec l’inflation, c’est l’inverse : les prix des biens et des services augmentent et, par conséquent, la valeur d’une monnaie est plus faible car son pouvoir d’achat diminue.

La déflation n’est pas intrinsèquement bonne ou mauvaise. Ce qui compte, c’est de savoir où vous placez votre argent. De chaque côté de l’équation, il y a des gagnants et des perdants. Avec l’inflation, les détenteurs d’actifs gagnent, puisque les dollars à venir valent moins et qu’il faudra donc plus de dollars pour acheter des actifs à une date ultérieure – comme mes parents et leur première maison. Avec la déflation, les détenteurs de monnaie sont gagnants, puisque leurs dollars peuvent acheter plus de biens et de services à l’avenir qu’aujourd’hui.

Le problème est que nous pensons toujours que la déflation est limitée à certains secteurs de notre économie – que nous continuerons à obtenir plus avec moins dans nos appareils électroniques tout en bénéficiant des avantages de l’inflation dans le reste de nos vies. Et nous continuons à considérer la technologie à travers un prisme étroit, comme s’il s’agissait uniquement de ce qui alimente nos téléphones.

Même en dézoomant un peu plus, nous pensons souvent à l’industrie technologique en termes de géants comme Apple, Google, Microsoft, Facebook, Amazon et, en Chine, Tencent, Baidu et Alibaba. Souvent, nous ne réalisons pas que c’est la même force déflationniste de ces entreprises que nous célébrons en utilisant leurs services, souvent sans même y penser. Qu’il s’agisse des informations gratuites et abondantes fournies par Google ou des prix toujours plus bas et du service croissant d’Amazon, nous continuons à obtenir plus pour moins cher.

Mais la technologie a des ramifications encore plus larges et plus importantes. La technologie n’est pas une industrie isolée de nos téléphones, de nos recherches sur Google ou des objets que nous achetons sur Amazon. La technologie s’intègre dans tout ce que nous faisons. Elle s’impose de plus en plus comme la colonne vertébrale de chaque secteur et de chaque entreprise. Dans un avenir proche, si vous n’êtes pas une entreprise basée sur la technologie, vous ne serez probablement plus une entreprise du tout.

Donc, si la technologie fait son chemin dans tous les secteurs, pourquoi devrions-nous nous attendre à bénéficier de la force déflationniste dans certains endroits et de l’inflation partout ailleurs ? Si la même technologie qui nous a donné l’abondance dans nos téléphones fait maintenant son entrée dans presque toutes les industries, ne devrions-nous pas nous attendre à la fois à l’abondance et à la déflation des prix dans tout ce qui nous entoure ?

Si tout – pas seulement les téléphones ou les sociétés Internet, mais tout – est beaucoup plus performant et que son prix baisse en même temps, une famille qui gagne 75 000 dollars cette année et qui a du mal à joindre les deux bouts pourrait gagner 70 000 dollars l’année prochaine et la valeur des dollars serait accru. Puis 60 000 dollars quelques années plus tard, et la valeur des dollars augmenterait toujours, en continuant à gagner plus pour moins, grâce à la tendance déflationniste naturelle de la technologie. Cela nous permettrait de sortir de la spirale actuelle qui consiste à rechercher des prix de plus en plus élevés et à exiger des emplois de plus en plus rémunérateurs pour suivre le rythme.

Cela peut sembler radical, mais si la technologie est déflationniste et que nous nous attendons à ce qu’elle continue de progresser dans plus en plus d’industries, ce n’est peut-être pas si radical. C’est peut-être la seule chose sensée à faire.

Il y a juste un problème : si la technologie devrait rendre tout moins cher, pourquoi la vie devient-elle plus chère ?

Économie réactionnaire

Partout dans le monde, les loyers, les prix des logements, les carburants, la nourriture et bien d’autres coûts augmentent, nous gardant dans une roue à hamster. Pour quiconque vivant dans cet environnement, il est presque impossible de croire à la déflation ou à l’abondance qui pourrait en découler.

Mais cette hausse des prix est artificielle, motivée par une énorme augmentation du crédit et de la dette.

Les gouvernements et les banques centrales sont prêts à faire presque n’importe quoi pour arrêter la déflation. Les objectifs d’inflation, fixés généralement à 2 %, sont des éléments publics de leurs mandats, avec un mélange d’idées farfelues et toujours plus nombreuses pour maintenir l’inflation. Toute croissance réelle que le monde a connue n’est due qu’à une frénésie de dépenses sans précédent alimentée par un crédit et une dette faciles qui masquent ce qui se passe réellement en dessous. Le problème vient du fait que l’on croit pouvoir échapper à la déflation et à l’ordre naturel des choses en créant toujours plus de dettes. C’est un peu comme essayer de battre des bras pour lutter contre la gravité : la gravité gagnera. Même un avion qui utilise une énergie massive pour rester en l’air doit finir par atterrir.

Pour mesurer le montant de la dette dans le monde, il est important de comparer la dette totale des gouvernements, des personnes ou des entreprises par rapport à son impact sur la croissance totale du produit intérieur brut (PIB). Sinon, on peut facilement se laisser berner par un tour de passe-passe consistant à penser que la croissance plus lente de la dette dans une partie de l’économie est compensée par une augmentation rapide de la dette dans une autre. Par exemple, un gouvernement maîtrise sa dette en ne finançant plus un programme, mais cet arrêt du financement force la dette à s’accumuler plus rapidement chez les consommateurs qui ont besoin du programme ; ce n’est qu’à travers la dette totale que l’on verra le véritable impact sur le PIB.

Il y a déjà trop de dettes dans le monde, ce qui paradoxalement rend le problème plus difficile à résoudre. La dette combinée à la déflation est une combinaison toxique, car les emprunteurs doivent payer le même montant pour leurs intérêts alors qu’ils gagnent moins. Cela augmente la valeur réelle de la dette, ce qui rend son remboursement plus improbable. Les défauts de paiement explosent et le crédit est détruit, ce qui entraîne de graves dépressions dans les économies.

En 2000, la dette totale dans le monde était d’environ 62 000 milliards de dollars américains. En même temps, l’économie mondiale en 2000 était d’environ 33 500 milliards de dollars américains. Depuis 2000, l’économie mondiale est passée de 33 500 milliards de dollars à environ 80 000 milliards de dollars, mais pour atteindre cette croissance, la dette totale est passée à plus de 247 000 milliards de dollars au troisième trimestre de 2018, selon l’Institut de la finance internationale. En d’autres termes, il a fallu environ 185 000 milliards de dollars de dette mondiale pour obtenir 46 000 milliards de dollars de croissance mondiale.

Si nous arrêtions d’ajouter à cette dette et commencions à la rembourser au rythme de 1 000 dollars par seconde, cela prendrait près de 8 000 ans. Au lieu de cela, nous continuons à l’augmenter. Et c’est encore pire : s’il a fallu créer 185 000 milliards de dollars de dette pour obtenir seulement 46 000 milliards de croissance, je vous montrerai au chapitre 4 pourquoi il faudra au moins le double de dette pour obtenir 46 000 milliards de croissance supplémentaire.

Je ne peux pas m’imaginer aller à la banque pour obtenir un prêt et présenter cette idée géniale où j’ajouterais 4,00 $ de dette pour chaque 1,00 $ de croissance. Même si je taxais la totalité du gain de 1,00 $ à 100 %, ce 1,00 $ ne me permettrait jamais de rembourser mon prêt initial. Le mirage de la croissance actuelle n’est rien d’autre qu’une frénésie de dépenses alimentée par la dette.

Les dépenses alimentées par l’endettement ne sont pas toujours mauvaises. Souvent, la dette peut être utilisée pour croître sagement en finançant des investissements intelligents à long terme. Une entreprise qui s’endette pour investir dans l’automatisation a plus de poids face à ses concurrents et peut rembourser cette dette avec un meilleur rendement dans le futur pour l’entreprise grâce à l’automatisation. Mais lorsqu’une entreprise continue à dépenser plus qu’elle ne gagne, ou à investir sa dette dans des choses qui ne fournissent pas de rendement économique, la dette devient un poids pour la croissance future, car les dollars actuels doivent être alloués pour payer le coût du service des intérêts ou des paiements. À un moment donné, le poids de la dette devient insupportable et l’entreprise est obligée de se restructurer ou de fermer – ce qui efface toute la dette et nuit à ceux à qui elle est due.

Globalement, une économie est la même. Une économie peut croître plus rapidement grâce au même effet de levier ou au crédit qui lui est appliqué, tirant la demande vers l’avant en augmentant ce qui peut être dépensé aujourd’hui au détriment de ce qui sera payé demain. Les gens et les ménages ont plus d’argent, donc ils dépensent plus et les entreprises et les économies se développent plus rapidement. Mais cet argent doit être remboursé… d’une manière ou d’une autre.

Faut-il s’étonner que les plus grands acteurs des marchés financiers parient aujourd’hui non pas sur la croissance des entreprises, mais sur l’orientation des banques centrales et des gouvernements en matière de politique monétaire ? D’un côté, nous avons cette incroyable force déflationniste alimentée par la technologie, et de l’autre côté, nous avons une force qui essaie de l’arrêter. Cette force est la planche à billets.

Dans son livre Principles for Navigating Big Debt Crises, Ray Dalio, grâce à de nombreuses recherches et à sa connaissance du marché, utilise les données des précédentes crises de la dette pour examiner les implications de la politique gouvernementale lorsqu’elle devient incontrôlable. Dalio fait un travail incroyable en distillant la complexité des marchés dans une lecture facile à comprendre et précieuse. Quand la dette devient trop importante, selon ses mots :

Il existe quatre leviers que les décideurs politiques peuvent actionner pour ramener les niveaux d’endettement et de service de la dette au niveau des revenus et des flux de trésorerie nécessaires à leur service :

1. L’austérité – dépenser moins

2. Défauts de paiement/restructuration de la dette

3. La banque centrale imprime de la monnaie ou d’autres garanties

4. Transferts d’argent de ceux qui ont plus que ce dont ils ont besoin vers ceux qui ont moins (impôts beaucoup plus élevés pour les riches).2

Dalio conclut qu’en fin de compte, « les décideurs politiques impriment toujours plus d’argent. C’est parce que l’austérité fait plus de mal que de bien, que les grandes restructurations effacent trop de richesses trop rapidement et que les transferts de richesses des riches vers les pauvres ne se produisent pas en quantité suffisante sans révolution ».3 Et je suis d’accord avec Dalio sur le fait qu’il est très probable que les décideurs politiques imprimeront à nouveau alors que les gouvernements du monde entier essaieront de botter en touche une fois de plus. Je ne pense pas que ce soit la bonne solution cette fois-ci. Cela ne fera qu’empirer les choses.

Ce qu’aucun historique des précédentes crises de la dette n’a pu montrer, c’est l’incroyable force déflationniste de la technologie. Elle est différente des transitions historiques comme la révolution industrielle, et de plus, elle n’a qu’à peine commencé. L’essentiel de la déflation est encore devant nous. Cette force déflationniste, combinée à un marché mondial où tous les acteurs étatiques doivent stimuler la croissance et les emplois mieux rémunérés dans leurs propres économies, nous prépare à un avenir sans précédent. Où les règles doivent être réécrites.

La technologie en elle-même n’est ni bonne ni mauvaise. Les effets déflationnistes qu’elle entraîne ne le sont pas non plus. Nos systèmes de gouvernance déterminent la façon dont elle est utilisée. Du moins à l’heure actuelle, la technologie est conçue par des humains et peut être utilisée pour faire un bien immense dans le monde, en apportant l’abondance : un monde où nous recevons tous beaucoup plus pour moins. Mais aujourd’hui, il est difficile pour tout individu, et encore moins pour ceux qui ne font pas partie de l’industrie technologique, de suivre le rythme de croissance de la technologie. Nous pouvons nous attendre à ce que la technologie qui nous entoure aujourd’hui soit primitive par rapport à celle qui nous attend. Nous commençons à jouer à un tout nouveau jeu, dont de nombreuses règles sont à l’opposé de celles auxquelles nous sommes habitués.

Chaque jeu a des gagnants et des perdants. Il en va de même pour le jeu de la vie : certaines personnes gagnent plus que d’autres, et c’est normal. La passion, les risques, l’ingéniosité, le travail et l’intelligence doivent être récompensés. Les défis monumentaux pour toute société surviennent lorsqu’un jeu économique est truqué en faveur de quelques-uns alors que d’autres sont désavantagés. Lorsque les personnes défavorisées réalisent qu’elles jouent à un jeu qui ne peut être gagné. C’est là où nous en sommes dans le monde aujourd’hui, et même si la plupart des gens ne réalisent pas pourquoi, le mécontentement monte. Les propriétaires d’actifs et ceux qui ont accès à la dette et à l’effet de levier ont été d’immenses gagnants. Il en va de même pour les entreprises technologiques qui s’en servent pour créer des monopoles plus importants que par le passé. Mais cela a un coût. Ce coût, c’est le populisme qui monte dans le monde. Et ce coût est sur le point d’exploser.

Dans la suite de ce livre, j’examinerai en profondeur la situation : comment nous en sommes arrivés là, où nous nous dirigeons, et ce que nous pouvons faire. Préparez-vous à être mis au défi.

 


  1. Institute for Policy Studies, “Income Inequality,” inequality.org/facts/income-inequality.↩︎

  2. Ray Dalio, Principles for Navigating Big Debt Crises (Bridgewater Associates, 2018), page 12.↩︎

  3. Ray Dalio, Principles for Navigating Big Debt Crises (Bridgewater Associates, 2018), page 12.↩︎

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