Graduellement d’abord, puis soudainement #4 – Bitcoin ne gaspille pas d’énergie

Parker Lewis
Le 16 août 2019
Initialement publié sur le blog d’Unchained Capital puis sur Dux Reserve

Traduction :
Alexandre Castlenine Fondateur & president de Dux Reserve. Cypherpunk

Au choix : podcast et/ou lecture

Combien de fois avez-vous entendu les consignes de sécurité avant un vol commercial standard ? Vous les connaissez probablement par cœur, mais chaque fois, avant le décollage, les agents de bord demandent aux passagers voyageant avec des enfants de mettre d’abord leur masque à oxygène avant de s’occuper des enfants. Instinctivement, cela est contre-intuitif. Logiquement, cela prend tout son sens. Assurez-vous que vous pouvez respirer, afin que l’enfant qui dépend de vous puisse respirer aussi. Le même principe s’applique à la fonction de coordination de la monnaie dans une économie, et aux ressources nécessaires pour protéger cette fonction. Dans une démonstration de sécurité plus philosophique, l’hôtesse de l’air pourrait dire : « assurez-vous s’il vous plaît que la masse monétaire soit sécurisée afin que nous puissions continuer à coordonner l’activité de millions de personnes pour construire ces avions hyper complexes, qui vous offrent même la possibilité d’envisager le problème que je suis sur le point d’expliquer. »

Nous y reviendrons, mais il vous sera difficile de comprendre la nécessité de la quantité d’énergie consommée par le bitcoin, sans d’abord avoir compris le rôle fondamental que joue la monnaie dans la coordination de l’activité économique. Qu’est-ce que la monnaie ? Comment ça marche ? Comment devrait-elle fonctionner ? Quelle est sa fonction dans la société ? Si vous ne vous êtes pas arrêtés pour vous poser ces questions, vous ne pouvez pas commencer à saisir le poids du problème que Bitcoin entend résoudre. Et sans une évaluation du problème, le coût pour trouver la solution ne semblera jamais justifié.

Un certain nombre de spectateurs pointent du doigt la quantité d’énergie consommée par le réseau de Bitcoin. Cette préoccupation découle de l’idée que l’énergie qu’il consomme pourrait être autrement utilisée à des fins plus productives, ou qu’elle est tout simplement mauvaise pour l’environnement. Les deux ignorent l’ampleur fondamentale de l’importance réelle de la consommation d’énergie du bitcoin. S’il y a bien une raison justifiant une importante utilisation d’énergie à long terme, c’est la garantie de l’intégrité d’un réseau monétaire. Dans le cas présent — d’un point de vue constructif — celui du réseau Bitcoin. Mais cela n’empêche pas ceux qui ne comprennent pas l’énoncé du problème de soulever des inquiétudes.

"La nature fondamentalement inutile de l'extraction de bitcoins signifie qu'il n'y a pas de solution technologique facile à venir." — The Guardian

"Dans le contexte du changement climatique, des incendies de forêt qui font rage et des ouragans qui battent des records, cela vaut la peine de se poser des questions difficiles sur l'impact environnemental de Bitcoin." – Vice-média

La consommation d'énergie de Bitcoin

En arrière-plan, le bitcoin est sécurisé par un réseau décentralisé de nœuds (node, ordinateurs exécutant le protocole bitcoin). Les nœuds économiques au sein du réseau génèrent, valident et relaient des transactions ainsi que des blocs bitcoin (groupes de transactions séquencés dans le temps). Les nœuds de minage exécutent des fonctions similaires, mais également la fonction de preuve de travail (proof of work) de bitcoin pour générer, résoudre et transmettre des blocs au reste du réseau. En effectuant ce travail, les mineurs valident l’historique et fournissent une fonction de « compensation » pour les transactions en cours, dont tous les autres nœuds vérifient ensuite la validité. Pensez à la fonction de compensation de la Réserve Fédérale de New York, mais sur une base totalement décentralisée toutes les dix minutes (en moyenne).

Le travail effectué requiert des quantités massives de puissance de traitement fournies par les mineurs du monde entier, fonctionnant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cette puissance de traitement nécessite de l’énergie. Pour le contexte, à 75 exahashs par seconde, le réseau Bitcoin consomme actuellement environ 7 à 8 gigawatts d’électricité, ce qui se traduit par ~ 9 millions de dollars par jour (ou ~ 3,3 milliards de dollars par an) d’énergie à un coût marginal de 5 cents par kWh (estimations approximatives). Sur la base des moyennes nationales aux États-Unis, le réseau Bitcoin consomme autant d’énergie qu’environ 6 millions de foyers. Oui, c’est certainement beaucoup de puissance, mais c’est aussi ce qui sécurise et soutient le réseau Bitcoin.

Comment justifier autant d’énergie ? Et que consommera Bitcoin lorsqu’un milliard de personnes l’utiliseront ? Le dollar marche très bien, non ? Eh bien, c’est justement le problème : ce n’est pas le cas. Ces ressources sont consacrées à la résolution d’un problème dont la plupart n’ont pas connaissance de son existence, ce qui rend difficile la justification d’un coût dérivé. Pour aider à soulager la douleur des écologistes et des guerriers de la justice sociale, nous soulignons souvent un certain nombre de récits compensatoires pour le rendre plus acceptable :

  • Une part importante de la consommation d’énergie de Bitcoin est générée à partir de ressources renouvelables.
  • Bitcoin stimulera l’innovation dans le développement de technologies et de ressources d’énergie renouvelable.
  • Bitcoin consomme de l’énergie qui est autrement gaspillée, sinon rejetée dans l’atmosphère.
  • Bitcoin ne consomme que l’énergie que le marché libre supportera au taux du marché libre.
  • Bitcoin consomme des ressources énergétiques qui, autrement, ne seraient pas économiques à développer.
  • La nature de la demande d’énergie bitcoin améliorera l’efficacité des réseaux énergétiques.

Ces considérations aident à démontrer qu’une vision simple selon laquelle la consommation d’énergie de Bitcoin est nécessairement un gaspillage ou nécessairement mauvaise pour l’environnement, échoue au test proverbial. Cependant, sans une appréciation de l’énormité du problème monétaire que Bitcoin entend résoudre, le coût marginal ne pourrait jamais être justifié. Bitcoin représente une solution aux problèmes systémiques qui existent dans notre cadre monétaire hérité, et il repose sur la consommation d’énergie pour fonctionner. La stabilité économique dépend de la fonction de la monnaie, et le bitcoin fournit un cadre monétaire plus solide. C’est pourquoi il n’y a pas d’utilisation d’énergie à long terme plus importante que la sécurisation du réseau Bitcoin. Ainsi, plutôt que de développer les nombreux contrepoints individuels au récit dominant, il vaut mieux se concentrer sur le problème principal lui-même : le problème de la monnaie ou le problème mondial du QE (assouplissement quantitatif).

La fonction de monnaie

Bien que la plupart des gens ne le reconnaissent pas, le problème de la monnaie est considérable. La majorité peut le ressentir au quotidien, sans en identifier la cause principale. Travailler plus dur, plus d’heures, s’endetter et encore peiner à s’en sortir. Il doit y avoir un meilleur moyen, mais pour identifier une solution, il faut d’abord percevoir et comprendre le problème. Le problème qui existe est lié à notre monnaie et son impact omniprésent sur la société.

“L'argent est l'un des plus grands instruments de liberté jamais inventés par l'homme." — F.A. Hayek, The Road to Serfdom

Plus précisément, l’argent est le bien qui permet la spécialisation et la division du travail. Il permet aux individus de poursuivre leurs propres intérêts ; c’est la façon dont les individus communiquent leurs préférences au monde, que ce soit dans le travail ou dans les loisirs, et c’est ce qui crée la « gamme de choix » que nous tenons tous pour acquis. Notre économie moderne repose sur la liberté offerte par l’argent, mais le résultat final est un système hautement complexe et spécialisé.

Pour simplifier le concept, Milton Friedman explique comment personne n’est capable de produire un crayon à mine standard étant donné sa complexité (voir ici). Il détaille le bois nécessaire, la scie pour couper le bois, l’acier pour faire la scie, le minerai de fer pour faire l’acier, le plomb, le caoutchouc pour la gomme, l’anneau en laiton, la peinture jaune, la colle, etc. Il explique comment la fabrication d’un seul crayon nécessite la coordination et la coopération de milliers de personnes, y compris d’individus qui ne parlent pas la même langue, qui pratiquent probablement des religions différentes et qui peuvent même se détester si jamais elles devaient se rencontrer en personne. Et il explique que la capacité de coopérer est fonction du système de prix et du bien économique que nous appelons l’argent.

En faisant abstraction du crayon, considérons maintenant la complexité de notre économie moderne. Des voitures aux avions, d’Internet aux téléphones portables, même de votre épicerie locale. Les chaînes d’approvisionnement modernes sont si complexes et si spécialisées qu’elles nécessitent la coordination de millions de personnes pour assurer l’une de ces fonctions de base. L’orchestration de toute cette activité qui alimente le commerce mondial n’est rendue possible que par la fonction de l’argent.

Un exemple concret : le Venezuela

Le Venezuela fournit un exemple macro et micro concret du rôle vital que joue l’argent dans la coordination économique et du dysfonctionnement qui résulte de l’échec d’un bien monétaire. Le Venezuela est l’un des pays les plus riches en pétrole au monde, mais en raison de l’avilissement monétaire, la monnaie vénézuélienne a récemment connu une forte inflation (hyperinflation, plus précisément). Au fur et à mesure de la détérioration de la monnaie, les fonctions économiques de base se sont dégradées au point où se procurer de la nourriture dans les épiceries, ou des soins de santé de base est devenu difficile. Il s’agit d’une crise humanitaire à part entière, ayant pour racine le manque d’une monnaie stable au Venezuela, pour coordonner l’activité économique et faciliter la production des biens nécessaire à son inclusion dans le commerce mondial.

Quel est le rapport avec le bitcoin et la consommation d’énergie ? Étant un pays riche en énergie, le pétrole était (et demeure) la principale exportation du Venezuela ; ou plutôt, le bien qu’il a besoin de produire pour commercer. Bien qu’il soit l’un des pays les plus riches en énergie au monde, la production pétrolière du Venezuela est en chute libre.

La production de pétrole brut tombe au plus bas depuis Janvier 2003

Le Venezuela ne peut plus importer la technologie ou coordonner les ressources dont il a besoin pour extraire sa principale monnaie commerciale (le pétrole). Cela a entraîné une détérioration significative de son économie locale, entravant sa capacité à produire l’électricité nécessaire pour alimenter ses propres réseaux énergétiques. Conséquence : des pannes d’électricité prolongées, empêchant la fourniture de services de base tels que l’électricité, l’eau potable ou les soins de santé.

Ce qui se passe au Venezuela est dévastateur : c’est la cause directe de la détérioration économique engendrée par l’hyperinflation. L’avilissement monétaire fausse le mécanisme des prix d’une monnaie, ce qui crée alors des déséquilibres économiques. À mesure que la coordination économique se détériore, des chaînes d’approvisionnement complexes sont perturbées, ce qui entraîne une baisse de l’offre de biens réels (par exemple, la nourriture sur les étagères, la production de pétrole, etc.) et un déséquilibre entre l’offre et la demande. Au fur et à mesure que la monnaie est créée, les biens réels deviennent relativement rares par rapport à l’offre de monnaie, ce qui provoque l’effondrement de la fonction même de la monnaie.A mesure que les biens réels deviennent de plus en plus rare, les individus sont dissuadés de détenir de la monnaie, et choisissent plutôt de s’en débarrasser le plus vite possible, ce qui créé une course à l’obtention des nécessités premières et provoque finalement une hyperinflation de la monnaie. Voici l’explication de base de la détérioration économique par la manipulation monétaire.

L'application au monde développé

Aujourd’hui, beaucoup assis confortablement dans le monde développé regarderont le Venezuela en pensant « cela ne pourrait jamais arriver ici », mais une telle remarque ignore tous les premiers principes. Qu’on le comprenne bien ou non, la structure du marché du bolivar vénézuélien ou du peso argentin est identique à celle du dollar, de l’euro ou du yen. La Réserve Fédérale, la Banque centrale européenne ou la Banque du Japon sont peut-être meilleures dans la gestion de la stabilité (pour l’instant), mais cela ne change rien au fait que les fondements de tous les systèmes de monnaie fiduciaire sont les mêmes.

Pour prendre l’exemple des États-Unis, la Réserve Fédérale a augmenté la base monétaire de 180 milliards de dollars en 1984 à un pic de 4,2 billions de dollars après le QE3, soit une augmentation d’un facteur de 23. En raison de la nature de l’économie de crédit de la Fed, la distorsion économique amenée par la dévaluation s’est développée progressivement jusqu’à la crise financière qui s’est produite soudainement. Et avec l’assouplissement quantitatif, nous nous trouvons actuellement au bord du même gouffre. Si vous pensez que le monde développé n’est pas dans une situation précaire ou ne repose pas sur une fondation monétaire similaire à celle du Venezuela, laissez-moi vous montrer les patients zéro : la Fed, la BCE et la Banque du Japon. Souvent, la confiance placée dans ces institutions est aveugle aux principes fondamentaux et ignore le bon sens. Considérez la citation ci-dessous, empruntée à un économiste résident de la Fed au lendemain de la crise financière, lorsque la Fed était en train de créer 3 600 milliards de nouveaux dollars dans leur programme d’assouplissement quantitatif :

« En outre, je tiens simplement à souligner que les lacunes dans notre compréhension des interactions entre le secteur financier et le secteur réel sont profondes » David Wilcox – Économiste de la Fed (août 2011)

Un examen honnête de l’histoire démontre le mauvais caractère de ceux qui sont chargés de gérer nos économies de manière centralisée. Tout en admettant de profondes lacunes dans leur capacité à comprendre les implications des actions entreprises sur l’économie réelle, la réponse a été de continuer dans la même voie (mais de manière amplifiée) en attendant un résultat différent : la définition même de la folie. Aujourd’hui, face aux conséquences de la réponse à la crise, nous avons le choix entre deux grands contrastes. A) une forme de monnaie planifiée de manière centralisée qui est vouée à perdre de sa valeur ; ou B) une monnaie décentralisée avec une offre fixe. Cette dernière admet un coût énergétique conséquent, mais aussi une externalité positive: la stabilité économique à long-terme.

Stabilité économique via la consommation d'énergie

La stabilité économique future est la raison fondamentale pour laquelle il ne peut y avoir de source de demande plus importante pour la consommation d’énergie que la sécurité du système monétaire de bitcoin. En particulier lorsque les alternatives (fiat et or) sont structurellement défectueuses. Si nous attendons de voir les signes d’hyperinflation, nous sommes déjà perdus. Mais le Venezuela n’est pas seulement un exemple de ce qui se passe à la suite de l’hyperinflation, c’est un exemple réel de l’importance de la production d’énergie pour le fonctionnement de la société. Un certain apport d’énergie est nécessaire pour tout ce que nous consommons dans notre vie quotidienne. La coordination de ces intrants énergétiques dépend de la fiabilité et de la stabilité de la monnaie que nous utilisons.

Ignorez votre café du matin pendant une minute et pensez à l’essentiel : eau potable, assainissement, nourriture, médicaments, soins de santé de base, etc. La coordination des ressources pour fournir ces services de base dépend d’un système monétaire fonctionnel. Lorsqu’un système monétaire s’effondre, la coordination sociale et même le tissu social s’effondrent à leur tour. Si la base de tout commerce est l’énergie, et si nous avons besoin d’argent pour coordonner le commerce, l’utilisation la plus importante de cette énergie devrait d’abord être de protéger le système monétaire. Mettez d’abord votre « masque à oxygène », puis passez aux personnes à charge. Sécurisez les bases du commerce, puis concentrez-vous sur tous les produits dérivés.

Toute préoccupation concernant la quantité d’énergie que le bitcoin consomme ou consommera est un faux problème. Ce n’est pas que nous devions sacrifier l’électricité qui pourrait autrement alimenter les maisons ; c’est que nous n’aurons jamais l’électricité pour alimenter ces maisons si nous n’avons pas un système monétaire fiable pour coordonner l’activité économique et mobiliser les ressources. Dans la pratique, le bitcoin ne rivalise pratiquement pas pour les mêmes ressources énergétiques qui alimentent les fonctions de production et de consommation de base de notre économie (ce n’est pas une somme nulle). En revanche, la fonction de Bitcoin en tant que système monétaire garantira que ces mêmes besoins énergétiques pourront continuer à être satisfaits ailleurs.

Ce qui serait mauvais pour la société, c’est que davantage de pays soient amenés à se détériorer vers une catastrophe économique et humanitaire semblable à celle du Venezuela, où les services de santé et humains de base ne peuvent pas être fournis de manière fiable. Et il ne s’agit pas de présenter une vision draconienne ou un avenir dystopique ; il s’agit plutôt d’articuler l’importance et l’interdépendance à la fois de la fonction monétaire et de la fonction énergétique dans des économies complexes et hautement spécialisées.

« Si cela empêche un cas d'hyperinflation d’arriver comme le Venezuela […], la consommation d'énergie de bitcoin serait la meilleure affaire que l'humanité ait jamais eue. – Saifedean Ammous, le bulletin de recherche standard Bitcoin

Bitcoin représente une sortie de secours du système financier mondial actuel et sera bientôt son principal moteur. Mis à part les risques systémiques qui affligent actuellement notre système financier, le bitcoin est un système monétaire fondamentalement plus solide. Cette garantie existe grâce à la production et la consommation d’énergie. Il ne suffit pas de croire que le destin du dollar sera celui du bolivar vénézuélien pour reconnaître l’importance de l’interaction entre la stabilité de la fonction monétaire et la production de ressources énergétiques qui assurent les nécessités économiques de base. Le risque inhérent à la possibilité d’hyperinflation est si négativement asymétrique, que le prix de la consommation d’énergie de Bitcoin est d’un faible coût relatif.

Bitcoin consommera toutes les ressources énergétiques nécessaires pour sécuriser son réseau monétaire, qui est intrinsèquement motivé par la demande de base pour son utilisation monétaire. Plus les gens apprécient la stabilité à long terme qu’il procure, plus il consommera d’énergie. En fin de compte, cette consommation garantira que tous les autres dérivés de la consommation d’énergie continueront d’être satisfaits, c’est pourquoi il n’y a pas d’utilisation d’énergie à long terme plus importante que la sécurisation du réseau Bitcoin. Mettre un prix sur la stabilité économique et la liberté économique qu’un système monétaire stable offre : c’est la vraie justification de la quantité d’énergie que le bitcoin devrait et va consommer. Tout le reste est une distraction.

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