Cycles d’innovations technologiques

L’irruption remarquée de Bitcoin gagne à être analysée à travers le prisme des cycles d’innovation technologiques de Kondratiev. La percée technologique que constitue la découverte de Nakamoto libère en effet un potentiel majeur d’innovation dans la finance et dans l’économie tout entière dont il est difficile aujourd’hui d’estimer l’ampleur. On peut supposer que Bitcoin contribuera largement au prochain cycle de croissance. 

L’essor fulgurant de Bitcoin suit une croissance exponentielle caractéristique des nouvelles technologies. Si cette terminologie nous est chaque jour plus familière, les réalités qu’elle décrit nous échappent encore largement.    

1 Les cycles de Kondratiev

Cycles de Kondratiev – Économiste soviétique, Kondratiev a démontré que la croissance des économies capitalistes combine cycliquement une phase de croissance soutenue de long terme suivie d’une période de dépression. Les cycles qui portent son nom durent 40-60 ans et sont le résultat d’une innovation radicale ou d’une révolution industrielle qui entraîne un cycle vertueux d’investissement. Bitcoin constitue une innovation de cet acabit. 

Goorha et Edstrom analysent l'évolution du bitcoin à la lumière de ces cycles en se concentrant sur l'évolution de la dureté de la monnaie. Ils identifient quatre cycles de Kondratiev :

  1. l'âge de la monnaie-or (1873-1914)
  2. l'âge de l'étalon-or (1925-1973)
  3. l'âge de la monnaie fiduciaire (1973-2009), et
  4. l'ère du bitcoin (depuis 2009)

Selon cette analyse, on peut envisager les étapes suivantes pour Bitcoin : la monnaie de réserve mondiale incontestée à la fin du premier cycle, la base d'une infrastructure numérique mondiale dans le second, et pourquoi pas le protocole de base des transactions interplanétaires dans le troisième cycle !

1 progression exponentielle

Dans des secteurs de plus en plus nombreux les progrès technologiques et leur vitesse d’adoption tendent à croître de façon exponentielle.

Tandis que certaines technologies progressent par petites étapes successives selon un processus d’innovation dit incrémental, d’autres connaissent un rythme de progression incroyablement plus rapide. C’est souvent le cas avec les nouvelles technologies dont la croissance est dite exponentielle.

Dans un scénario incrémental, la performance de la technologie peut croitre de 20% ou 50% par an et vous pouvez par exemple passer de 100 clients en un an à 150 l’année suivante et à 250 l’année d’après. Dans le cas d’une croissance exponentielle, la progression en termes de performance est telle qu’elle vous fait passer à des ordres de grandeur supérieurs (x10, x100) tout comme le niveau d’adoption qui peut passer de 100 utilisateurs en un an, à 1000 utilisateurs l’année suivante, puis à 100 000 utilisateurs l’année suivante.

Performance exponentielle

La loi de Moore prédit le doublement tous les deux ans du nombre de transistors sur une micropuce et une division par deux du coût des ordinateurs sur la meme période. 

Adoption exponentielle

Les gains en matière de connectivité, l’essor des médias sociaux, le développement des communications instantanées, l’augmentation de la productivité tant au niveau de la fabrication que des systèmes de livraison donnent lieu à des vagues d’adoption de nouveaux produits et services beaucoup plus rapides et puissantes que jamais.

Le superbe outil graphique interactif suivant vous permet de comparer l’évolution du taux d’adoption pour diverses technologies sur plus d’un siècle. On note la forme en S caractéristiques des courbes d’adoption. 

Le graphique suivant souligne l’accélération de ces phénomènes exponentiels d’adoption. Alors qu’il a fallut 22 ans pour réunir 50 millions de téléspectateurs, 2 ans seulement ont suffi à Twitter pour réunir une telle audience et 19 jours à Pokémon go pour attirer à lui 50 millions de joueurs.   

Le monde évolue à un rythme accéléré

Temps nécessaire pour réunir 50 millions d'utilisateurs

Bitcoin : l'actif le plus rapide à atteindre 1 000 milliards de dollars

Historiquement, il a fallu plusieurs décennies pour que des entreprises atteignent une valeur de 1 000 milliards de dollars. Bitcoin n’a eu besoin que de 12 petites années pour dépasser ce seuil. Pour prendre un peu de recul voici un aperçu du temps qu’il a fallu aux plus grandes entreprises technologiques américaines pour atteindre une telle capitalisation boursière.

Au-delà de nos capacités d'entendement

Il nous est difficile d’apprécier l’ampleur des phénomènes exponentiels car notre esprit n’est guère habitué à les reconnaître. C’est ce que nous enseigne la vidéo ci-dessous. La puissante transformation technologique à l’œuvre dans la société dépasse notre entendement : elle se produit pourtant sous nos yeux à une vitesse phénoménale.  

1 un système monétaire incompatible avec le progrès technologique

Mais où s'envolent tous nos gains de productivité ?

Dans l’ordre naturel des choses, les gigantesques gains de productivité découlant de nos progrès technologiques ininterrompus devraient nous faciliter la vie, nous libérer du temps et nous permettre d’acquérir biens et services à moindres coûts.

Mais les États, endettés comme jamais dans l’histoire, redoutent comme la peste une telle déflation. Celle-ci affecterait grandement leur capacité à rembourser leur dette et mettrait un terme à leur train de vie toujours plus dispendieux. Les politiques monétaires définies par les banques centrales leur garantissent ainsi un niveau d’inflation leur permettant de continuer à s’endetter sans fin sur le dos de citoyens dont le pouvoir d’achat et la capacité d’epargne sont dilapidés. Un hold-up permanent, silencieux.

Le Prix de demain (The Price of Tomorrow) est une mise en garde contre deux tendances : 1) le progrès technologique et la déflation des prix qu’il entraîne conduiront à un chômage généralisé et durable ; 2) l’économie mondiale est soutenue par une montagne instable de dettes. Jeff Booth est technologiste et entrepreneur à succès dans le domaine du e-commerce, environnement dont il a pu suivre de près les évolutions depuis plus de 20 ans. Son expérience le place dans une position idéale pour décrypter ce qui se passe lorsque le système monétaire inflationniste se heurte à l’essor des technologies déflationnistes.

Quelle que soit leur taille, les entreprises renforcent leur intensité technologique pour booster leur productivité et leur rentabilité. La technologie en générale est une force qui fait baisser les prix et donc qui nous enrichit. Cet effet déflationniste des technologies, exponentiel dans l’ère numérique (effets réseau, IA) surpasse l’inflation monétaire, une force contraire qui dilue notre épargne, la valeur de notre temps, et entraine la hausse des prix. L’inflation est une forme de vol institutionalisé. Or, les banques centrales ont pour mandat de maintenir un certain niveau d’inflation prétendument pour stimuler l’économie mais aussi clairement pour faciliter le remboursement de la dette, son produit dopant. Booth note que la bataille pour le contrôle de l’inflation est perdue d’avance s’agissant des produits et services technologiques. Elle ne fait que déplacer l’inflation de manière inégale vers d’autres secteurs de l’économie.

Booth observe que nos systèmes économiques ont été conçus pour une époque pré-technologique où travail et capital étaient inextricablement liés, une époque qui comptait sur la croissance et l’inflation. La majorité des emplois actuels sont d’ailleurs encore largement le fait de gaspillages et d’inefficacités que le progrès technologique finira par éliminer. Le seul réel moteur de croissance aujourd’hui est le crédit facile créé à un rythme effarant et la dette qu’il induit et que nous ne pourrons jamais rembourser. USD 185 000 milliards de dette furent nécessaires au cours des vingt dernières années (pré-COVID) pour ne produire que USD 46 000 milliards de croissance du PIB. Le taux de croissance aurait probablement été négatif sans toutes ces mesures de relance.

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1 en savoir un peu + sur les cycles de kondratiev

Caractéristiques des cycles

On rappelle donc que les cycle de Kondratiev ont été mis en évidence pendant l’ère communiste russe par l’économiste et sociologue Nikolai D. Kondratiev. Ce dernier étudiait la cyclicité sur le long terme des variations des prix des produits agricoles et du cuivre. Il démontra l’influence déterminante des innovations technologiques et de périodes d’évolution sur ces cycles.

Les cycles de Kondratiev durent 40-60 ans. Ils résultent d’une innovation radicale ou d’une révolution industrielle à l’origine d’un enchaînement d’investissements dans un cercle vertueux.

Chaque cycle de Kondratiev se compose d’une phase ascendante A et d’une phase descendante B. La phase A, qui correspond au début du cycle, est caractérisée par le lancement d’innovations et la relance progressive des investissements par des entreprises soucieuses de rester compétitives. Les prix augmentent tout comme les taux d’intérêt du fait de la hausse de la demande d’emprunt. Cette phase A dure environ 20 ans. 

Survient ensuite une période de récession primaire d’environ 10 ans qui amorce une dépression de 20 ans (la phase B) marquée par la stagnation économique et une baisse des prix provoquée par la supériorité de l’offre sur la demande. Les taux d’intérêts baissent à leur tour, ainsi que la consommation et l’investissement. Il en résulte une baisse de la demande de monnaie. Le système économique est purgé et les conditions à nouveau réunies pour un nouveau cycle. 

Quel avenir pour Bitcoin ?

L’analyse conduite par Prateek Goorha et Andrew Enstrom sur l’évolution de Bitcoin à la lumière des cycles de Kondratiev (K) se concentre sur l’évolution de la dureté de la monnaie (la monnaie est une technologie; sa dureté est déterminée par le niveau de difficulté requise pour produire de nouvelles unités). Les auteurs identifient quatre cycles K : 1) l’âge de la monnaie-or (1873-1914) ; 2) l’âge de l’étalon-or (1925-1973) ; 3) l’âge de la monnaie fiduciaire (1973-2009) ; et l’âge de Bitcoin (à partir de 2009). Si l’on s’en tient à des cycles de 40 ans, Bitcoin devrait connaitre des transformations fort intéressantes avant le minage du dernier bitcoin.

À la fin du premier cycle, vers 2047, 10 cycles de halving (réduction par deux du montant de la récompense associée à chaque bloc sur le réseau Bitcoin) auront eu lieu et 99,90% de tous les bitcoins auront été minés. La valeur de l’espace de bloc augmentera de façon exponentielle durant ce cycle. Le second cycle K de Bitcoin s’appuiera sur une série de technologies associées (embryonnaires ou inimaginables à ce stade) qui provoqueront la prochaine transformation

Goorha et Edstrom relèvent que le fameux commentaire de Marc Andreessen « le logiciel est en train de manger le monde » est pertinent pour Bitcoin au cours du cycle actuel. En effet, « Bitcoin est en train de manger les systèmes monétaires ». Lors de son second cycle K, Bitcoin sera associé à un éventail beaucoup plus large de technologies, ce qui nous permettra sans doute de dire que « Bitcoin mange les économies numériques » en masse. Tout cela peut certes sembler encore assez spéculatif aujourd’hui. Cela dit, à en juger par les cycles K depuis la révolution industrielle, nous pouvons nous attendre à ce que chaque cycle K de Bitcoin apporte son lot d’innovations absolument transformationnelles pour la société à l’échelle mondiale. 

Bitcoin sera peut-être la monnaie de réserve mondiale incontestée dès la fin du 1er cycle, deviendra peut-être la base d’une infrastructure numérique mondiale lors du second, pour devenir le protocole de base des transactions interplanétaires lors du 3ème cycle !

Source :
The Schumpeterian Bitcoin Cycle, Prateek Goorha et Andrew Edstrom (2021)

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