L’Étalon-Fiat – Fermes Fiat

Saifedean Ammous, Économiste,
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Auteur de l’Étalon Fiat et de l’Étalon Bitcoin
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Ce texte est extrait de L’Étalon-Fiat, ouvrage désormais très populaire parmi les bitcoiners (disponible notamment  ici) et suite logique du best-seller mondial L’Étalon-Bitcoin.

Ouvrage original : Saifedean Ammous, The Fiat Standard: The debt slavery alternative to human civilization
Traduction : Gary Sablon, Catherine Charbonneau, Henry J.K.I. Young, Edouard Gallego, Morgan Taglang, Laurent Waisman, David St-Onge, Konsensus Network.

NB: Les illustrations ne figurent pas dans le texte original.

Fermes fiat

La fin de la convertibilité du dollar en or en 1971, évoquée au chapitre 2, a libéré le gouvernement américain de l’obligation de rembourser sa monnaie fiat en or physique, ce qui lui a donné une plus grande marge de manœuvre d’expansion inflationniste. Le résultat inévitable de l’expansion de la quantité de monnaie a été la hausse des prix des biens et des services, qui allait caractériser l’économie mondiale à partir des années 1970. Face à cette inflation galopante, le gouvernement américain a fait ce que tous les gouvernements inflationnistes de l’histoire ont fait : il a rejeté la faute sur une multitude de facteurs – l’embargo pétrolier arabe, les méchants spéculateurs sur les marchés financiers internationaux, les ressources naturelles qui atteignent leurs limites, etc. – mais aucun ne concernait la politique monétaire inflationniste du gouvernement lui-même.

Chaque expansion du crédit et des dépenses du gouvernement développe un groupe qui en dépend et qui utilise son influence politique pour perpétuer les dépenses, et rend très difficile la tâche de tout politicien qui voudrait inverser la tendance. La voie du succès en matière de politique monétaire consiste à abuser de la planche à billets, et non à l’endiguer. Que ce soit en rapport aux aides sociales, aux chèques de relance face à la pandémie, aux aides au logement, aux coupons alimentaires, à l’éducation universitaire ou à l’assurance maladie gratuite, l’homme politique qui cherche à dépenser de la monnaie fiat trouvera toujours du soutien parmi une partie de la population. En revanche, le politicien qui favorise les restrictions financières a peu de chances de devenir populaire et sera plus probablement catalogué comme étant l’ennemi des pauvres. 

Lorsque les prix des denrées alimentaires sont devenus la question politique urgente du moment, il y avait peu de chances de freiner la hausse des prix en inversant les politiques inflationnistes. La voie de la planification centralisée du marché alimentaire a été privilégiée, avec les conséquences désastreuses que l’on constate encore aujourd’hui.

Earl Butz, secrétaire à l’agriculture sous le président Nixon de décembre 1971 à octobre 1976, a promu des politiques favorisant l’agriculture industrielle à grande échelle et a mis fin aux programmes destinés à protéger les petits agriculteurs.

En 1971, le président des États-Unis Richard Nixon a nommé Earl Butz, un agronome qui siégeait au conseil d’administration de plusieurs sociétés agroalimentaires, au poste de secrétaire du ministère américain de l’agriculture. L’objectif officiel de Butz était de faire baisser les prix des denrées alimentaires, et ses méthodes étaient brutalement directes : « Devenez importants ou partez », disait-il aux agriculteurs, fortement incités à intensifier leurs productions grâce à des crédits à faibles taux d’intérêt.

Les faibles taux d’intérêt ont inondé les agriculteurs de capitaux pour qu’ils puissent intensifier leur productivité. Cette politique a tué l’agriculture artisanale et a contraint les petits agriculteurs à vendre leurs parcelles aux grandes entreprises, consolidant ainsi la croissance de la production alimentaire industrielle qui, au final, détruirait le sol américain et la santé de ses habitants. Si l’augmentation de la production a entraîné une baisse des prix, elle s’est faite au détriment du contenu nutritionnel des aliments et de la qualité des sols.

L’utilisation massive de machines industrielles permet de réduire le prix des aliments industriels, et c’est ce que recherchait Butz. La production de masse entraîne une augmentation de la taille et de la quantité des aliments et de leur teneur en sucre, mais il est beaucoup plus difficile d’augmenter leur teneur en nutriments, car le sol s’appauvrit à cause de la monoculture intensive répétitive, ce qui nécessite des quantités toujours plus grandes d’engrais artificiels pour les reconstituer.

La dégradation de la qualité des aliments au cours de l’époque fiat s’est accompagnée de la dégradation de la qualité des aliments inclus dans la mesure gouvernementale de l’inflation, l’Indice des Prix à la Consommation, une mesure mathématique dont la bêtise a été détaillée au chapitre 4. Dans l’absence d’une unité objective et définissable, la mesure devient dénuée de sens. Cette absence tente de cacher la nature instable de la composition du panier de biens référentiels : en effet, ces biens changent en fonction de la valeur de la monnaie que l’IPC prétend mesurer. Les aliments sont un parfait exemple pour illustrer cette dynamique. Lorsque les prix des aliments hautement nutritifs augmentent, les gens sont inévitablement contraints de les remplacer par des produits moins chers. Comme les aliments moins chers deviennent une partie plus importante du panier de biens, l’effet de l’inflation est sous-estimé. 

Déclin de la teneur en minéraux des aliments (1914-1992) et augmentation des maladies associées á un déficit de minéraux (1900-1994) – Cancer, obésité, déformations osseuses, problèmes cardiaques, maladies respiratoires, acouphènes 

Pour illustrer ce point : imaginez que vous gagnez dix dollars par jour et que vous les dépensez pour manger une délicieuse entrecôte qui vous apporte tous les nutriments dont vous avez besoin pour la journée. Dans ce panier de biens de consommation simple (et selon certains, optimal)7, l’IPC est de dix dollars. Imaginez maintenant qu’un jour, l’hyperinflation frappe l’économie et que le prix de votre entrecôte passe à cent dollars tandis que votre salaire quotidien reste de dix dollars. Qu’advient-il du prix de votre panier de biens ? Il ne peut pas être multiplié par dix parce que vous ne pouvez pas vous permettre de payer votre entrecôte à cent dollars. Au lieu de cela, vous vous contentez d’un merdier chimique tel que le hamburger au soja à dix dollars. L’IPC, comme par magie, indique une inflation nulle. 

Quoi qu’il arrive avec l’inflation monétaire, l’IPC est destiné à rester à la traîne en tant que mesure parce qu’il est basé sur les dépenses de consommation, qui sont elles-mêmes déterminées par les prix. Les hausses de prix ne provoquent pas d’augmentations équivalentes des dépenses de consommation, elles entraînent des réductions de la qualité des biens consommés. L’évolution du coût de la vie ne peut pas se refléter dans le prix du panier moyen de biens car les biens composant ce panier sont à leur tour déterminés par l’évolution des prix. C’est ainsi que l’on peut comprendre qu’ils continuent d’augmenter alors que l’IPC nous montre un niveau politiquement optimal de 2 à 3 % par an. Si vous êtes satisfait de remplacer vos entrecôtes par de la bouillie de rebuts industriels, en effet, vous ne subirez pas beaucoup d’inflation !

Cette tendance à remplacer les aliments par des produits industriels a permis au gouvernement américain de minimiser l’ampleur de la destruction de la valeur du dollar dans leurs statistiques officielles. En subventionnant simplement la production des aliments les moins chers et en les recommandant aux Américains comme éléments optimaux de leur régime alimentaire, l’ampleur de la hausse des prix et de la dépréciation de la monnaie devient moins apparente. 

Un examen plus approfondi des recommandations diététiques du gouvernement américain depuis les années 1970 montre un déclin continu de la recommandation de viande, et une augmentation des recommandations de céréales, de légumineuses, d’huiles industrielles et de divers autres aliments pauvres sur le plan nutritionnel mais qui bénéficient d’économies à l’échelle industrielle.

L’industrialisation de l’agriculture a donné naissance à de grands conglomérats dotés d’un poids politique important, qui occupent désormais une place prépondérante dans le paysage politique américain. Selon OpenSecrets.org, un site Web qui suit les contributions politiques aux élections américaines, les grandes entreprises agroalimentaires ont versé aux candidats des élections fédérales plus de 193 millions de dollars au cours du cycle électoral de 2020. Cela contribue peut-être à expliquer pourquoi, depuis sept décennies, les exploitations agricoles industrialisées ont eu tant de succès en faisant pression pour obtenir davantage de subventions ainsi que des recommandations alimentaires qui encouragent les Américains à acheter leurs produits.

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