Graduellement d’abord, puis soudainement #7 – Bitcoin : pas la blockchain

Parker Lewis
Le 6 septembre 2019
Initialement publié sur le blog d’Unchained Capital 

Traduction :
Jacques-Edouard  
@Jacques_BTC

Au choix : podcast et/ou lecture

Vous est-il déjà arrivé d’entendre un de vos brillants amis dire qu’il n’est pas sûr du Bitcoin mais qu’en revanche il croit en la technologie blockchain ? Cela revient en fait à dire que l’on croit aux avions mais qu’on est un peu incertain quant aux ailes ; et il y a fort à parier que celui qui pense de la sorte ne comprend ni Bitcoin, ni la technologie blockchain. En effet, Bitcoin et sa blockchain sont dépendants l’un de l’autre. Cependant, si vous êtes novice en matière de Bitcoin, saisir son fonctionnement et s’y retrouver peut s’avérer incroyablement difficile. Franchement cela peut être accablant étant donné la complexité et le volume des projets… Qui a le temps de tout examiner ? En fait, il y a une démarche pratique mais encore faut-il savoir par où commencer. On dénombre apparemment des milliers de crypto-monnaies et d’initiatives blockchain, mais une seule compte vraiment: Bitcoin. Ignorez donc tout le reste comme si cela n’existait pas et essayez dans un premier temps de comprendre pourquoi Bitcoin existe et comment il fonctionne ; c’est la fondation idéale à partir de laquelle vous pourrez ensuite réfléchir à tout le reste.

C’est également le point d’entrée le plus pratique ; avant de vous en remettre au hasard et de risquer de l’argent durement gagné, prenez le temps de comprendre Bitcoin et mettez à profit ces connaissances pour prendre la mesure du secteur crypto. Il n’est pas dit que vous arriverez aux mêmes conclusions, le plus souvent ceux qui prennent le temps de comprendre comment Bitcoin fonctionne et pourquoi identifient avec plus de facilité les défauts présents dans le secteur. Et même si ce n’est pas le cas, c’est en commençant par Bitcoin que vous vous donnez le plus de chance de conduire une analyse éclairée et objective. En fin de compte, le but avec Bitcoin n’est pas de gagner de l’argent, ce n’est pas un plan pour s’enrichir rapidement ; fondamentalement il s’agit de stocker la valeur que vous avez déjà créée, et personne ne devrait s’y risquer sans les connaissances de base préalables. Dans le monde des monnaies numériques, Bitcoin offre le plus long historique et la plus vaste quantité de ressources pédagogiques à étudier, et c’est pourquoi Bitcoin constitue le meilleur outil d’apprentissage.

Pour débuter ce voyage, réalisons tout d’abord que Bitcoin a été créé pour résoudre un problème bien spécifique à l’argent moderne. Le fondateur de Bitcoin a entrepris de créer un système de monnaie numérique pair-à-pair se passant de tiers de confiance, et la blockchain constituait un élément essentiel de la solution. En pratique, le bitcoin (la monnaie) et sa blockchain sont interdépendants. L’une n’existe pas sans l’autre ; le bitcoin a besoin de sa blockchain pour fonctionner et il n’y aurait pas de blockchain fonctionnelle sans une monnaie native (le bitcoin) permettant d’inciter la mobilisation de ressources pour en assurer la protection. Cette monnaie native doit être viable comme forme d’argent. En effet, le paiement de la sécurité repose exclusivement sur cette monnaie native qui doit donc détenir des propriétés monétaires crédibles garantissant sa viabilité.

Sans monnaie, il n’y a pas de sécurité et sans sécurité, la valeur de la monnaie et l’intégrité de la chaîne s’effondrent. C’est la raison pour laquelle une blockchain n’est utile que dans le contexte de l’application de la monnaie, et la monnaie ne pousse pas sur les arbres comme par magie. Oui, c’est aussi simple que cela ! Une blockchain n’est bonne qu’à une seule chose : supprimer le besoin d’un tiers de confiance dans le contexte de la monnaie. Une blockchain ne peut pas faire respecter quoi que ce soit en dehors du réseau. Alors qu’une blockchain semble en mesure d’assurer la traçabilité de la propriété en dehors du réseau, elle ne peut faire respecter la propriété que de la monnaie native de son réseau. Bitcoin assure la traçabilité de la propriété et fait respecter la propriété. Si une blockchain n’est pas capable d’accomplir ces deux fonctions, tous les enregistrements qu’elle conserve s’en trouveront intrinsèquement peu sécurisés et seront donc éventuellement sujets à des altérations. En ce sens, l’immuabilité n’est pas une caractéristique inhérente à une blockchain, mais plutôt une propriété émergente. Et si une blockchain n’est pas immuable, sa monnaie ne sera jamais viable en tant que forme d’argent car jamais le transfert et le règlement final n’y seront possibles de manière fiable. Sans règlement final fiable, un système monétaire n’est pas fonctionnel et n’attirera pas de liquidités à lui.

En fin de compte, les systèmes monétaires convergent vers un seul support parce que leur utilité est la liquidité plutôt que la consommation ou la production. Et la liquidité se consolide autour de la réserve de valeur à long terme la plus sûre. Il serait irrationnel de stocker la richesse dans un réseau monétaire moins sûr et moins liquide alors que l’alternative accessible d’un réseau plus sûr et plus liquide existe. L’implication générale est qu’en fin de compte une seule blockchain est viable et nécessaire. Toutes les autres crypto-monnaies sont en concurrence pour le même cas d’utilisation que Bitcoin, celui de la monnaie ; certaines en sont conscientes, d’autres non, mais la valeur continue de se consolider autour de Bitcoin parce qu’il s’agit de la blockchain de plusieurs ordres de grandeur la plus sécurisée et que toutes sont en concurrence pour le même cas d’utilisation. La compréhension de ces concepts est fondamentale pour saisir Bitcoin. Elle constitue aussi le socle à partir duquel on peut considérer et évaluer tout le bruit au-delà de Bitcoin. Une fois que l’on sait comment Bitcoin fonctionne réellement, on comprend clairement pourquoi il n’y a pas de blockchain sans bitcoin.

Il n’y a pas de blockchain

Souvent, le registre des transactions de Bitcoin est considéré comme une blockchain publique qui vit quelque part dans le cloud, comme une place publique numérique où toutes les transactions sont regroupées. Cependant, il n’y a pas de source centrale de vérité, il n’y a pas d’oracles et il n’y a pas de blockchain publique centrale sur laquelle chacun réalise indépendamment des transactions. Au lieu de cela, chaque participant au réseau construit et maintient sa propre version indépendante de la blockchain selon un ensemble de règles communes ; personne ne se fie à personne et chacun valide tout. Tout le monde en arrive à la même version de la vérité sans avoir eu besoin de faire confiance à une autre partie. Ce principe est au cœur de la manière avec laquelle Bitcoin résout le problème de la suppression des intermédiaires tiers d’un système de monnaie numérique.

Chaque participant qui opère un nœud au sein du réseau Bitcoin vérifie indépendamment chaque transaction et chaque bloc ; ce faisant, chaque nœud agrège sa propre version indépendante de la blockchain. Le consensus est atteint dans le réseau parce que chaque nœud valide chaque transaction (et chaque bloc) sur la base d’un ensemble de règles de base (et la chaîne la plus longue gagne). Si un nœud diffuse une transaction ou un bloc qui ne suit pas les règles du consensus, les autres nœuds le rejetteront comme non valide. C’est grâce à cette fonction que Bitcoin peut se passer d’un tiers central ; le réseau converge vers le même état cohérent de la chaîne sans que personne ne fasse confiance à une autre partie. La monnaie joue cependant un rôle essentiel dans la coordination du mécanisme de consensus de Bitcoin et dans l’ordonnancement des blocs qui représente en fin de compte l’historique complet et valide des transactions bitcoin (c’est-à-dire sa blockchain).

Les bases du Bitcoin : les blocs et le minage

Considérez qu’un bloc est un ensemble de données qui relie le passé au présent. Techniquement, les blocs individuels enregistrent les changements de l’état général de la propriété des bitcoins dans un intervalle de temps donné. Dans l’ensemble, les blocs enregistrent l’historique complet des transactions en bitcoins ainsi que la propriété de tous les bitcoins à un moment donné. Seuls les changements d’état sont enregistrés dans chaque bloc. La façon dont les blocs sont construits, résolus et validés est essentielle au processus de consensus du réseau et garantit également que le bitcoin maintient une offre fixe (21 millions). Les mineurs sont en concurrence pour construire et résoudre des blocs qui sont ensuite proposés au reste du réseau pour acceptation. Pour simplifier, considérez la fonction de minage comme un processus continu de validation de l’historique et de compensation des transactions bitcoin en attente ; à chaque bloc, les mineurs ajoutent l’historique des nouvelles transactions à la blockchain et valident l’historique complet de la chaîne. C’est par ce processus que les mineurs sécurisent le réseau ; toutefois, tous les nœuds du réseau vérifient ensuite la validité du travail effectué par les mineurs, ce qui garantit le respect du consensus du réseau. Plus techniquement, les mineurs construisent des blocs qui représentent des ensembles de données comprenant trois éléments critiques (en simplifiant à nouveau) :

  1. Référence au bloc précédent → valider l’historique complet de la chaîne.
  2. Transactions Bitcoin → compenser les transactions en attente (modifications de l’état de propriété).
  3. Transaction Coinbase + frais → compensation aux mineurs pour la sécurisation du réseau.

Pour résoudre les blocs, les mineurs exécutent ce que l’on appelle une fonction de preuve de travail en dépensant des ressources énergétiques. Pour que les blocs soient valides, toutes les entrées doivent être valides et chaque bloc doit répondre à la condition de difficulté actuelle du réseau. Pour satisfaire à la difficulté du réseau, une valeur aléatoire (appelée « nonce ») est ajoutée à chaque bloc, puis l’ensemble des données combinées est soumis à l’algorithme de hachage cryptographique du bitcoin (SHA-256) ; le résultat (ou hachage) doit atteindre la difficulté du réseau pour être valide. Imaginez une simple fonction d’estimation et de vérification, mais d’un point de vue probabiliste, des billions de valeurs aléatoires doivent être estimées et vérifiées afin de créer une preuve valide pour chaque bloc proposé. L’ajout d’un nonce aléatoire peut sembler superflu. Mais c’est cette fonction qui oblige les mineurs à dépenser d’importantes ressources énergétiques pour résoudre un bloc, ce qui, au final, rend le réseau plus sûr en rendant les attaques extrêmement coûteuses.

L’ajout d’un nonce aléatoire à un bloc proposé, qui constitue par ailleurs un ensemble de données statiques, rend chaque résultat (ou hachage) unique ; et le résultat a pour chaque nonce distinct vérifié une même faible chance d’atteindre la difficulté du réseau (c’est-à-dire de représenter une preuve valide). Bien que l’on parle souvent d’un problème mathématique extrêmement compliqué, en réalité, il n’est difficile que parce qu’une preuve valide requiert de deviner et de vérifier des billions de solutions possibles. Il n’y a pas de raccourcis ; il faut donc dépenser de l’énergie. Une preuve valide est facile à vérifier par d’autres nœuds, mais impossible à résoudre sans dépenser une quantité massive de ressources. Plus la quantité de ressources minières ajoutées au réseau est important, plus la difficulté du réseau augmente, ce qui nécessite de vérifier davantage d’entrées et de dépenser davantage de ressources énergétiques pour résoudre chaque bloc. Fondamentalement, la résolution des blocs engendre un coût matériel pour les mineurs, alors que tous les autres nœuds peuvent ensuite valider le travail très facilement et pratiquement sans frais.

Dans l’ensemble, la structure incitative permet au réseau de parvenir à un consensus. Les mineurs, qui doivent engager des coûts initiaux importants pour sécuriser le réseau, ne sont payés que si un travail valide est produit ; quant au reste du réseau, il peut immédiatement déterminer si le travail est valide ou non sur la base des règles de consensus sans engager de coûts. Bien qu’il existe un certain nombre de règles de consensus, si une transaction en attente dans un bloc est invalide, le bloc entier est invalide. Pour qu’une transaction soit valide, elle doit provenir d’un bloc de bitcoins valide précédent et ne peut pas être une copie d’une transaction dépensée précédemment ; séparément, chaque bloc doit se baser sur la version la plus récente de l’historique pour être valide et il doit également inclure une transaction Coinbase valide. Une transaction Coinbase récompense les mineurs avec des bitcoins nouvellement émis en échange de la sécurisation du réseau, mais elle n’est valide que si le travail est valide.

Les récompenses de Coinbase sont régies par un calendrier d’approvisionnement prédéterminé et actuellement, 12,5 nouveaux bitcoins sont émis dans chaque bloc valide ; dans environ huit mois, la récompense sera réduite de moitié à 6,25 nouveaux bitcoins [c’est le cas en 2022], et tous les 210 000 blocs (ou environ tous les quatre ans), la récompense continuera d’être réduite de moitié jusqu’à ce qu’elle atteigne finalement zéro. Si les mineurs incluent une récompense invalide dans un bloc proposé, le reste du réseau la rejettera comme invalide, ce qui constitue le mécanisme de base qui régit une offre totale plafonnée à 21 millions de bitcoins. Cependant, le logiciel à lui seul ne permet pas de garantir cet approvisionnement fixe ou l’exactitude du registre des transactions; le tout tient grâce aux incitations économiques.

Consensus décentralisé

Pourquoi est-ce si important ? Dans une même fonction intégrée, les mineurs valident l’historique, compensent les transactions et sont payés pour la sécurité sur une base qui ne nécessite aucune confiance ; l’intégrité de l’approvisionnement fixe du bitcoin est incorporée dans sa fonction de sécurité, et comme le reste du réseau valide indépendamment le travail, le consensus peut être atteint sur une base décentralisée. Si un mineur effectue un travail valide, il peut compter sur le fait qu’il sera payé sans que cela ne nécessite aucune confiance. Inversement, si un mineur effectue un travail non valide, le reste du réseau applique les règles, en retenant essentiellement le paiement jusqu’à ce qu’un travail valide soit effectué. Et l’approvisionnement de la monnaie est intégrée dans la validité ; si un mineur veut être payé, il doit également faire respecter l’offre fixe de la monnaie, ce qui aligne encore plus l’ensemble du réseau. La structure d’incitation de la monnaie est si forte que tout le monde est obligé d’adhérer aux règles, ce qui est le principal facilitateur du consensus décentralisé.

Si un mineur résout et propose un bloc invalide, en particulier un bloc incluant des transactions invalides ou bien une récompense Coinbase invalide, et bien le reste du réseau le rejettera comme invalide. Par ailleurs, si un mineur prolonge une version de l’historique qui ne correspond pas la chaîne la plus longue associée à la plus grande preuve de travail, tout nouveau bloc proposé sera aussi jugé invalide. Fondamentalement, dès qu’un mineur voit un nouveau bloc valide proposé dans le réseau, il doit immédiatement commencer à travailler dessus ou risquer de prendre du retard et d’effectuer un travail invalide à un coût irrécupérable. Par conséquent, dans les deux cas, si un mineur produit un travail non valide, il encourra un coût réel mais ne recevra aucune compensation en retour.

Grâce à ce mécanisme, les mineurs sont incités au maximum à effectuer un travail honnête et valide et à œuvrer à tout moment dans le cadre du consensus de la chaîne ; soit ils sont payés, soit ils ne reçoivent rien. C’est également la raison pour laquelle plus le coût d’exécution du travail est élevé, plus le réseau est sécurisé. Plus l’énergie requise pour écrire ou réécrire l’historique des transactions du bitcoin est importante, plus la probabilité qu’un seul mineur puisse (ou veuille) saper le réseau est faible. L’incitation à se montrer coopératif augmente à mesure qu’il devient plus coûteux d’effectuer un travail qui au contraire serait jugé invalide par le reste du réseau. Plus la sécurité du réseau augmente, plus le bitcoin prend de la valeur. À mesure que la valeur du bitcoin augmente et que les coûts de résolution des blocs augmentent, l’incitation à produire un travail valide augmente (plus de coûts mais plus de revenus) et la pénalité pour un travail invalide devient plus punitive (plus de coûts mais pas de revenus).

Pourquoi les mineurs ne n’entrent-ils pas en collusion? Premièrement, ils ne peuvent pas le faire. Deuxièmement, ils ont essayé. Mais troisièmement, la raison fondamentale est qu’au fur et à mesure que le réseau se développe, il se fragmente tandis que la récompense économique versée aux mineurs augmente dans l’ensemble. Selon la théorie des jeux, une plus grande concurrence et un coût d’opportunité plus élevé rendent la collusion plus difficile et tous les nœuds du réseau valident le travail effectué par les mineurs, ce qui constitue un garde-fou permanent. Les mineurs sont simplement payés pour rendre un service et plus il y a de mineurs, plus l’incitation à coopérer est grande car la probabilité qu’un mineur soit pénalisé pour un travail non valide augmente avec la concurrence. Et rappelez-vous la valeur aléatoire du nonce ; alors qu’elle semblait jadis accessoire, elle se trouve au cœur de la fonction imposant l’utilisation de ressources énergétiques. C’est ce coût tangible (mettre sa peau en jeu) combiné à la valeur de la monnaie qui encourage le travail valide et permet au réseau d’atteindre le consensus.

Étant donné que tous les nœuds du réseau valident indépendamment les blocs et que les mineurs sont pénalisés au maximum en cas de travail invalide, le réseau est capable de former un consensus sur l’état exact de la chaîne sans avoir besoin de s’appuyer sur une source unique de connaissances ou de vérité. Rien dans cette coordination décentralisée ne serait possible sans le bitcoin, la monnaie ; tout ce que le réseau Bitcoin possède pour compenser les mineurs en échange de la sécurité, c’est sa monnaie native, que ce soit aujourd’hui en majeure partie sous la forme de bitcoins nouvellement émis ou à l’avenir exclusivement sous la forme de frais de transaction. Si les mineurs ne considéraient pas comme une forme fiable de monnaie la rémunération qui leur est versée, l’incitation à ce qu’ils réalisent les investissements nécessaires pour effectuer le travail n’existerait pas.

Le rôle de la monnaie dans une blockchain

Rappel de « Bitcoin ne peut pas être copié », si l’utilité principale (sinon l’utilité unique) d’un actif est l’échange contre d’autres biens et services, et si ce dernier ne donne pas de droit sur le flux de revenus d’un actif productif (comme une action ou une obligation), il doit concourir comme forme de monnaie et ne stockera de la valeur que s’il possède des propriétés monétaires crédibles. Le bitcoin est un actif au porteur, et il ne possède aucune utilité autre que son échange contre d’autres biens ou services. Il ne donne pas non plus de droit sur le flux de revenus d’un actif productif. Ainsi, le bitcoin n’a de valeur qu’en tant que type de monnaie et il n’a de valeur que parce qu’il possède des propriétés monétaires crédibles (voir L’Étalon Bitcoin, chapitre 1). Ceci est vrai par définition pour toute blockchain : tout ce qu’une blockchain peut offrir en échange de la sécurité est un actif monétaire natif du réseau, sans aucune revendication exécutoire en dehors du réseau. C’est pourquoi une blockchain ne peut être utile qu’en relation avec l’application de la monnaie. Le graphique ci-dessous de L’Étalon Bitcoin illustre ce point :

Sans monnaie native une blockchain dépend de la confiance pour sa sécurisation, ce qui élimine d’emblée tout besoin d’une blockchain. Dans la pratique, la fonction de sécurisation de Bitcoin (le minage), qui protège la validité de la chaîne sans devoir recourir à la confiance, nécessite un investissement initial important en capital en plus d’un coût marginal élevé (la consommation d’énergie). Afin de récupérer cet investissement et permettre un taux de rentabilité futur, le paiement sous forme de bitcoin doit plus que compenser les coûts globaux, sinon les investissements ne seraient pas réalisés. Fondamentalement, pour protéger (bitcoin) les mineurs doivent en premier lieu être rémunérés avec une forme d’argent fiable afin d’inciter les investissements de sécurité.

C’est aussi fondamental pour la structure d’incitation qui permet une mise en cohérence, un alignement du réseau : les mineurs sont incités à ne pas saper le réseau car cela ébranlerait directement la valeur de la monnaie dans laquelle ils sont rémunérés. Si le bitcoin n’était pas considéré comme une monnaie, il n’y aurait pas de mineurs, et sans mineurs, il n’y aurait pas de chaîne à protéger. Protéger la validité de la chaîne est en fin de compte ce pour quoi que les mineurs sont payés : si le réseau ne parvenait pas rationnellement à un consensus et si la propriété des jetons était sujette à changement, personne ne compterait raisonnablement sur le bitcoin comme mécanisme de transfert de valeur. En définitive, c’est la valeur de la monnaie qui protège la chaîne, et l’immuabilité de la chaîne est fondamentale pour que la monnaie ait de la valeur. On a là une relation qui se renforce d’elle-même, une boucle de feedback positif.

L’immuabilité est une propriété émergente

L’immuabilité. C’est une propriété émergente de Bitcoin, pas une caractéristique des blockchains. Un réseau monétaire mondial décentralisé et dépourvu d’autorité centrale ne pourrait pas fonctionner sans un grand livre immuable (c’est-à-dire qu’il ne pourrait pas fonctionner si l’historique de la blockchain n’était pas sûr et pouvait être modifié). Si le règlement de l’unité de valeur (bitcoin) ne pouvait pas être considéré comme définitif de façon fiable, personne n’échangerait raisonnablement de la valeur réelle en retour. Imaginons par exemple le scénario dans lequel une partie achète une voiture à une autre en échange de bitcoins. Supposons que le titre de propriété de la voiture soit transféré et que l’acheteur de la voiture en prenne physiquement possession. Si l’enregistrement de la propriété du bitcoin pouvait facilement être réécrit ou modifié (c’est-à-dire en changeant l’histoire de la blockchain), la partie qui a initialement transféré le bitcoin en échange de la voiture (soit l’acheteur) pourrait se retrouver en possession à la fois du bitcoin et de la voiture, tandis que l’autre partie pourrait se retrouver sans aucun des deux. C’est pourquoi l’immuabilité et la finalité du règlement, définitive, sont essentiels à la fonction de Bitcoin.

N’oubliez pas que Bitcoin ignore complètement le monde extérieur ; tout ce que Bitcoin sait faire, c’est émettre et valider de la monnaie (qu’un bitcoin soit un bitcoin). Bitcoin est incapable de faire respecter quoi que ce soit en dehors du réseau (idem pour n’importe quelle blockchain) ; c’est un système entièrement autonome et le réseau Bitcoin ne peut jamais valider qu’un côté d’un transfert de valeur bilatéral. Si les transferts de bitcoins ne pouvaient pas être considérés comme définitifs de manière fiable, il serait fonctionnellement impossible d’échanger quoi que ce soit de valeur en échange de bitcoins. C’est pourquoi l’immuabilité de la blockchain du bitcoin est inextricablement liée à la valeur du bitcoin comme monnaie. Le règlement final en bitcoin n’est possible que parce que son grand livre est immuable et ce de façon fiable. Et son registre n’est fiable et immuable que parce que sa monnaie a de la valeur. Plus le bitcoin a de valeur, plus il peut se permettre d’offrir de la sécurité ; plus la sécurité est grande, plus le grand livre est fiable et digne de confiance.

L’immuabilité est en fin de compte une propriété émergente, mais qui dépend d’autres propriétés émergentes du réseau. À mesure que le bitcoin se décentralise, il devient de plus en plus difficile de modifier les règles de consensus du réseau et de plus en plus difficile d’invalider ou d’empêcher des transactions par ailleurs valides (on parle souvent de résistance à la censure). Au fur et à mesure que Bitcoin se révèle de plus en plus résistant à la censure, la confiance dans le réseau augmente, ce qui favorise l’adoption du réseau, ce qui le décentralise davantage, y compris sa fonction de minage. En substance, Bitcoin devient plus décentralisé et plus résistant à la censure à mesure qu’il se développe, ce qui renforce l’immuabilité de sa blockchain. Il devient de plus en plus difficile de modifier l’histoire de la blockchain, car chaque participant représente progressivement une part de plus en plus petite du réseau ; quel que soit le degré de concentration de la propriété du réseau et du minage à un moment donné, les deux se décentralisent au fil du temps tant que la valeur augmente, ce qui rend Bitcoin toujours plus immuable.

Bitcoin, pas la blockchain

Cette structure incitative multidimensionnelle est complexe mais il est capital de la comprendre pour saisir le fonctionnement de Bitcoin et pourquoi bitcoin et sa blockchain sont interdépendants tels des outils s’appuyant l’un sur l’autre. Sans l’un, l’autre n’a pas de sens. Et cette relation symbiotique ne fonctionne que pour l’argent. Bitcoin en tant que bien économique n’a de valeur comme forme d’argent que parce qu’il n’a pas d’autre utilité. Cela est vrai de tout actif natif d’une blockchain. La seule valeur que le bitcoin peut finalement fournir est celle d’un échange présent ou futur. Et le réseau n’est capable que d’une seule fonction globale : valider si un bitcoin est un bitcoin et enregistrer la propriété.

Le réseau Bitcoin est une boucle fermée et c’est un système entièrement indépendant ; son seul lien avec le monde physique est sa fonction de sécurisation et de compensation. La blockchain conserve un enregistrement de la propriété et la monnaie est utilisée pour payer la sécurisation de ces enregistrements. C’est grâce à la fonction de sa monnaie que le réseau peut se permettre un niveau de sécurisation garantissant l’immuabilité de la blockchain, ce qui permet aux participants au réseau d’atteindre plus facilement et plus régulièrement un consensus sans avoir à faire confiance à des tiers. Tout cela combiné résulte en un système monétaire décentralisé, qui ne nécessite aucune confiance, présentant une offre fixe, de portée mondiale et accessible sans autorisation.

Toutes les autres monnaies fiduciaires, monnaies marchandise ou crypto-monnaies sont en concurrence pour le même cas d’utilisation que Bitcoin, qu’on le comprenne ou non, et les systèmes monétaires tendent vers un support unique parce que leur utilité est la liquidité plutôt que la consommation ou la production. L’évaluation des réseaux monétaires indique qu’il serait irrationnel de stocker de la valeur dans un réseau plus petit, moins liquide et moins sûr si un réseau plus grand, plus liquide et plus sûr existe comme option accessible. Bitcoin a de la valeur, non pas en raison d’une caractéristique particulière, mais plutôt parce qu’il a atteint l’état de rareté numérique finie. C’est le point névralgique qui confère à Bitcoin toute sa sureté et fiabilité comme réseau monétaire et c’est une propriété qui dépend de nombreuses autres qualités émergentes.

Une blockchain par contre est simplement une invention propre à Bitcoin qui permet de supprimer les tiers de confiance. Elle ne sert à rien d’autre. Elle n’a de valeur dans Bitcoin qu’en tant que pièce d’un puzzle plus vaste et elle serait inutile si elle ne fonctionnait pas de concert avec la monnaie. L’intégrité de la rareté du Bitcoin et l’immuabilité de sa blockchain dépendent en fin de compte de la valeur de la monnaie elle-même. La confiance dans la fonction globale entraîne une adoption progressive et une liquidité qui renforcent et consolident la valeur du réseau Bitcoin dans son ensemble. Lorsque les individus choisissent d’adopter Bitcoin, ils choisissent en même temps de se retirer des réseaux monétaires inférieurs. C’est la raison fondamentale pour laquelle les propriétés émergentes de Bitcoin sont pratiquement impossibles à reproduire et pourquoi ses propriétés monétaires se renforcent avec le temps (et à plus grande échelle), au dépens direct des réseaux monétaires inférieurs.

« Je ne crois pas que nous puissions jamais retrouver une bonne monnaie à moins de l’avoir préalablement reprise des mains du gouvernement – on ne peut pas la leur retirer violemment, tout ce que nous pouvons faire c’est d’introduire par un moyen malin détourné quelque chose qu’ils ne peuvent pas arrêter. » F.A. Hayek

En fin de compte, une blockchain n’est utile que dans l’application de la monnaie parce qu’elle dépend d’une monnaie native pour la sécurité. Bitcoin est de plusieurs ordres de grandeur la blockchain la plus sûre. Étant donné que toutes les autres blockchains sont en concurrence pour le même cas d’utilisation fondamental de la monnaie et que les effets de réseau du Bitcoin ne font qu’accroître son avantage en matière de sécurité et de liquidité, aucune autre monnaie numérique ne peut rivaliser avec Bitcoin. La liquidité engendre la liquidité et les systèmes monétaires tendent vers un support comme fonction dérivée. La sécurité et la liquidité de Bitcoin ont rendu obsolètes toutes les autres crypto-monnaies avant même qu’elles ne prennent leur envol. Trouvez-moi une crypto-monnaie qui se rapproche de Bitcoin en termes de sécurité, de liquidité ou de crédibilité de ses propriétés monétaires, et moi je vous trouverai une licorne.

La véritable concurrence pour Bitcoin, c’est et cela restera les réseaux monétaires traditionnels, principalement le dollar, l’euro, le yen et l’or. Pensez au bitcoin par rapport à ces actifs monétaires traditionnels dans le cadre de votre formation. Bitcoin n’existe pas dans le vide ; il représente un choix par rapport aux autres formes de monnaie. Évaluez-le en fonction des forces relatives de ses propriétés monétaires et, une fois qu’une base de référence aura été établie entre Bitcoin et les systèmes existants, vous disposerez d’une base solide pour évaluer plus facilement tout autre projet lié à la blockchain.

Pour en savoir plus, je vous suggère de lire L’Étalon Bitcoin (Saifedean Ammous), Inventing Bitcoin (Yan Pritzker) et Mastering Bitcoin (Andreas Antonopolous), probablement dans cet ordre.


Merci à Will Cole, Phil Geiger et Adam Tzagournis pour avoir relu et fourni de précieux commentaires. Merci également à Saif, Yan et Andreas pour leurs livres qui sont des ressources incroyables.

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