Andreas Antonopoulos
Educateur Bitcoin, auteur
Chaine YT
Twitter : @aantonop
Ce texte est l’extrait d’un chapitre du livre best-seller L’Internet de l’argent Vol I. (À lire absolument ! dispo notamment ici). Il s’agit de la transcription d’une conférence donnée par Andreas au Musée Henry Ford à Detroit dans le Michigan en juillet 2014. L’enregistrement vidéo de cette conférence est disponible ici.
NB: Les illustrations ne figurent pas dans le texte original.
Reconnaître l’innovation
[…] Bitcoin est inattendu. Bitcoin n’est pas l’argent comme nous le connaissons. Bitcoin n’aurait pas dû exister. Bitcoin n’a vraiment aucune chance de succès. Ça ne peut pas fonctionner. C’est l’une des choses qui ne fonctionne pas en théorie mais qui marche en pratique. Comme Wikipedia. Comme Linux. Comme Internet. Des idées étranges mises en pratique par des gens à queues-de-cheval et barbes. Des gens bizarres à qui personne ne fait vraiment confiance. Bitcoin réussit parce que ça marche. Comme technologie, il est élégant.
Je veux parler de l’énergie et du courage du marginal. Parler de ceux qui entrent dans une salle de réunion en disant : « Vous savez quoi ? Nous sommes sur le point de tout changer » et se font rire au nez. Et qui continuent d’aller de l’avant jusqu’à tout changer en effet. Ceci se produit tout le temps dans le domaine technologique. Mais nous l’oublions. Nous l’ignorons. Nous réécrivons l’histoire en embellissant les choses.
Les dangers de l’automobile, de l’électricité et de Bitcoin
[…] Savez-vous ce que les médias ont dit aux débuts de l’automobile ? Ils ont tourné les voitures en ridicule. Se sont moqués des voitures. Les voitures sont plus lentes que les chevaux. Les voitures tombent en panne tout le temps. Les voitures ont besoin d’essence chère qu’on ne trouve nulle part. Elles ont besoin d’une infrastructure énorme pour fonctionner. Les médias se sont focalisés sur ce qui leur faisait vendre le plus de papier : les accidents de voiture, les piétons mutilés par des voitures. Pendant plus de deux décennies à partir des premières voitures, l’histoire était celle de machines infernales, dégoûtantes, sales, bruyantes, bien moins performantes que les chevaux ; qui ne pouvaient aller nulle part ; que seuls les marginaux utilisaient et qui, la plupart du temps, tuaient leurs occupants et quiconque s’en approchait.
L’hystérie était telle qu’en 1865, au Royaume-Uni, une loi intitulée Red Flag Act a été votée. Le Red Flag Act stipulait que n’importe quelle voiture devait embarquer à son bord trois membres d’équipage : un conducteur, un ingénieur et un signaleur. Le conducteur pour conduire la voiture, l’ingénieur pour superviser cette opération (pensez aux chemins de fer) et le signaleur devait brandir un drapeau rouge et courir une centaine de mètres devant la voiture pour avertir les piétons de l’arrivée imminente d’une machine de mort infernale qui allait les faucher.
[…] Ceci est instructif parce que ça arrive encore et encore dans le domaine technologique. Quand l’électricité est arrivée à la porte des foyers et que les gens ont commencé à électrifier leurs maisons, pensez-vous que les médias ont crié, « C’est formidable ! Edison est un génie ! Ça va changer le monde » ? Non, ce qu’ils ont dit c’est que c’était une technologie dangereuse qui allait mettre le feu aux maisons. Ils ont raconté, l’une après l’autre, des histoires de personnes électrocutées et de maisons brûlées.
Le maire de Paris, durant l’Exposition universelle de 1900, déclara, « Après cette exposition, cette mode de l’électricité sera oubliée aussi vite que les lumières s’éteindront. » Des mots définitifs célèbres sont fréquents dans le domaine technologique, des mots qui, rétrospectivement, paraissent ridicules. Comme le président d’IBM qui a dit un jour, « Je prévois un besoin n’excédant pas cinq ordinateurs dans le monde entier ». Comme les gens qui ont dit que le téléphone ne marcherait jamais.
Devinez ce que les gens disent à propos de Bitcoin. Ils vous disent que c’est une technologie bizarre et compliquée. Une technologie pour les marginaux, les trafiquants de drogue, les pornographes, les terroristes, les voleurs, les escrocs. […]
Bitcoin n’est rien de tout cela. Bitcoin est simplement une technologie. En tant que technologie, souvent son usage se propage d’abord parmi les criminels. Les premières voitures étaient utilisées par les braqueurs pour fuir.
Les premiers téléphones étaient utilisés pour tramer des complots. Les premiers télégrammes étaient utilisés pour monter des combines de fraude […].
Les criminels utilisent les technologies d’avant-garde parce qu’ils opèrent dans un environnement caractérisé par des marges de profits et des prises de risque très élevés. Dans cet environnement, la concurrence est rude. Utiliser la dernière technologie, si vous prenez déjà des risques énormes, ça n’a rien d’extraordinaire. Et si vous gagnez, ça vous donne un avantage énorme. […]
Réactions historiques à l’innovation
Quand des industries bien installées, bien ancrées, voient arriver une nouvelle technologie disruptive, elles l’ignorent parce qu’elle ne représente probablement pas une menace. Bénéficiant d’un avantage historique et regardant du haut de leur grandeur d’entreprises monopolistiques, cette menace leur paraît risible. Pour JP Morgan, Bitcoin c’est un stand de limonade qui se prend pour Walmart. Si la technologie survit, alors ils passent à une nouvelle phase où ils tournent la technologie en dérision. Puis soudain ils la voient partout et ils commencent à en faire des gorges chaudes, à faire des blagues à son sujet.[…]
Alors qu’ils le moquent, Bitcoin continue à grandir et s’améliorer. Au bout d’un moment, vous constatez un changement. Au début, certaines des industries en place disent, « Hé, peut-être devrions-nous expérimenter ça. Peut-être devrions-nous commencer à regarder ce truc. » Ensuite, une ruée se produit parce que soudain elles comprennent que ceci va changer leur industrie à jamais.[…]
Après avoir été numéro un au monde, Kodak en est venu à perdre en l’espace de trois ans une industrie de 12 milliards de dollars au profit d’une […] petite entreprise finnoise dont il n’avait jamais entendu parler, appelée Nokia. […]
Linux a secoué IBM au plus profond parce qu’il a subverti l’idée la plus basique selon laquelle vous aviez besoin d’IBM pour produire une ingénierie de qualité, pour livrer les meilleurs ordinateurs pour le travail sérieux des banques, des ingénieurs et du gouvernement. Vous aviez besoin d’un système fermé, contrôlé, soigneusement organisé, construit par des ingénieurs sérieux détenteurs de doctorats.[…]
Aujourd’hui 80 % des téléphones cellulaires fonctionnent sous Android – qui, au fait, est Linux. Les banques utilisent Linux ; l’industrie du spectacle tourne sous Linux ; les voitures que nous conduisons sont sous Linux.[…] Si vous aviez dit à un ingénieur IBM il y a 15 ans, « Vous êtes sur le point d’être détruits par un système d’exploitation créé par un étudiant finnois dans sa chambre », il vous aurait ri au nez.
Et aujourd’hui Bitcoin s’attaque au système bancaire tout entier, l’industrie la plus puissante au monde. Devinez quoi ? Bitcoin va gagner.[…]
Il va gagner parce qu’il est ouvert.
Dans un monde de bricoleurs, d’expérimentateurs, de constructeurs, l’ouverture est gagnante. La raison pour laquelle il va gagner est qu’il autorise les innovations à prospérer à sa périphérie.
L’innovation libre et les systèmes opt-in
[…] Tout système financier au monde est construit sur un modèle de sécurité et de confiance qui requiert d’exclure les mauvais acteurs. Je ne peux pas me connecter au réseau Visa et le programmer parce que cela poserait un risque pour la sécurité du réseau Visa. Je ne peux pas me connecter au réseau SWIFT, le système mondial de transfert interbancaire, parce que cela pourrait porter atteinte à la sécurité du réseau. Tous ces réseaux sont conçus pour être fermés parce que leur mode de sécurisation principal repose sur le contrôle d’accès. […]
Bitcoin est différent. Pas parce que nous avons soudain trouvé les gens les plus honnêtes de la terre, ou parce qu’il n’y a pas de bizarreries dans Bitcoin. Ou parce que le réseau n’est pas attaqué. Bitcoin est différent parce qu’il y a plein d’escrocs dans Bitcoin – le réseau est attaqué tout le temps – mais il ne dépend pas du contrôle d’accès pour rester sûr. Il dépend d’une simple formule algorithmique de motivation et de récompense […] où il vaut beaucoup mieux jouer dans le respect des règles que contre elles. C’est la théorie des jeux. […]
Bitcoin est un réseau complètement ouvert. N’importe qui peut s’y connecter. Vous pouvez créer une application là tout de suite, vous connecter au réseau Bitcoin et lui apprendre à faire quelque chose de nouveau. […] C’est un système complètement décentralisé. Que se passe-t-il quand vous créez un réseau où les services financiers sont en accès ouvert ? Où, pour la première fois dans l’histoire, n’importe qui peut se connecter et créer une application ?
« Bitcoin est l’Internet de l’argent et l’argent en est seulement la première application. » Bitcoin n’est pas une monnaie. C’est un point important à comprendre. La monnaie est une application qui tourne sur le réseau Bitcoin.[…]
Ce qui est remarquable en la matière c’est que le niveau d’investissement est plus rapide que celui d’Internet en 1995. Nous avons une longueur d’avance. Bitcoin grandit plus vite que Twitter ne le fit durant ses trois premières années. Bitcoin grandit plus vite que Facebook durant ses premières années. La raison de cela est que chaque marginal, chaque personne curieuse ou bizarre, chaque programmeur de partout dans le monde peut se connecter à Bitcoin sans demander la permission à quiconque et appliquer ses idées bizarres pour créer un nouveau service financier.[…]
« Bitcoin est un système opt-in. Vous choisissez de l’utiliser. Vous choisissez les applications que vous faites tourner. Vous choisissez avec qui vous voulez interagir. Vous choisissez les règles du jeu selon lesquelles vous allez interagir. C’est pourquoi Bitcoin va gagner. Il crée l’innovation que les consommateurs veulent et dont ils ont besoin. »[…]
Inclure six milliards et demi de personnes dans une économie globale
Il y a une autre raison qui fait que Bitcoin va gagner. Il y a un déséquilibre énorme que la plupart des gens ne voient pas. […]
Il existe deux milliards de personnes qui n’ont aucun compte bancaire. Et quatre autres milliards qui ont un accès très limité à la banque. […]
Que se passe-t-il d’après vous quand soudain vous pouvez transformer un simple téléphone pouvant émettre des messages texte, connecté à un panneau solaire, dans une zone rurale du Nigeria, en terminal bancaire ? Devient-il un terminal de dépôt Western Union ? Un système de constitution de dossiers de prêts ? Un marché boursier ? Un outil d’IPO ? Au début, rien de tout ça mais laissez-lui quelques années.[…]
Que se passe-t-il quand le téléphone devient une banque ? Parce qu’avec Bitcoin, il peut être une banque. Que se passe-t-il quand vous connectez 6 milliards et demi de personnes à une économie globale sans aucune barrière à l’entrée ?[…]
Les envois d’argent, impacts sur les vies dans le monde
Bitcoin n’est pas une monnaie. Bitcoin est l’Internet de l’argent. En tant que technologie, il peut apporter l’inclusion économique et l’émancipation à des milliards de personnes dans le monde.[…]
« Imaginez ce qui se produit quand un jour l’un de ces migrants comprend qu’il peut envoyer de l’argent dans son pays avec Bitcoin – pas pour 15 %, ni 10 %, ni 5 % mais pour 5 cents de frais.[…]